Il n’est pas évident de rentrer dans ce film en fonction de l’état d’esprit dans lequel on le regarde. Au départ, on trouve le côté quasi documentaire très intéressant, notamment à cause des paysages époustouflants qui nous rappellent davantage les Rocheuses aux États-Unis que les Pyrénées. Ceci bien sûr est dû au réflexe de Pavlov qui nous est inculqué par tant de films hollywoodiens sur la vie sauvage dans les grandes vallées reculées des montagnes américano-canadiennes. C’est pourquoi j’ai été agréablement surpris de découvrir que le film ne se passait pas dans une chaîne de montagne américaine mais bien dans un massif que nous partageons avec un pays voisin de l’Europe. A l’inverse, je dois avouer que j’ai vraiment du mal à m’imaginer un tel degré d’isolement dans les Pyrénées quelque soit le côté. L’effet de surprise est donc réussi puisque je me suis presque demandé si ce n’était pas un trucage. Je me suis surpris à penser au film Mission à cause d’une scène métaphorique commune: à un moment donné, en fait trois fois, le personnage principal du film est contraint d’escalader des rochers avec une corde pour arriver à son village désert ; c’était la même chose dans le film Mission où on se rendait compte de l’isolement total de la colonie grâce à cette énorme falaise qu’il fallait gravir. Il n’en fallait pas plus pour illustrer le dénuement total dans lequel vivait cette communauté espagnole jusqu’au XIXe siècle probablement. Pas de chemin, ni de sentier muletier, serait-ce pire qu’au Népal? Cela casse donc l’image d’Épinal que nous avons des Espagnols bénéficiant d’un ensoleillement incomparable et d’une vie agréable sur la terrasse en soirée. Seul survivant d’une ancienne communauté villageoise perché dans la montagne, un homme survit grâce à la chasse au loup et à son sens aiguisé de la survie : on l’entend même grogner comme un ours. J’ai même cru un certain temps qu’il ne savait pas parler ! Netflix case le film dans « 16 avec sexe », c’est un peu exagéré car le film n’a absolument pas cette orientation. En fait, c’est par pure prévention au cas où un mineur regarderait ce film, ce que je trouve fort improbable. Trois scènes pudiques où on voit à peine les fesses de l’homme renvoient certainement une image trop brutale de la sexualité.En fait, le sauvageon a un instinct animal jusque dans sa sexualité, il ne semble pas comprendre ce qu’est la tendresse avec sa femme. Il se reproduit plus qu’il n’aime. Peut-être que les mineurs actuels ignorent comment la sexualité a été subie par les femmes jusqu’à peu. L’affiche du film ne reflète en rien l’intrigue, elle induit en erreur. Mais il est puni car les deux femmes qu’il met enceinte font des fausses couches. On observe ici la vision périmée de la femme espagnole obéissante, vendue par son père et destinée à servir son homme jusqu’à la livraison de sa descendance! Tout semble maudit: les grossesses n’arrivent pas à leur terme, les femmes n’ont toujours pas supporté ce rythme de vie très rude, elles se sentent maltraitées par leur mari, tout le village est en ruine. La fin était quasi inévitable, le spectateur n’y croit plus : il assiste à la fin d’une époque, d’un style de vie et d’une mentalité qui n’avait que faire des sensibleries, de la tendresse et de la douleur. Il fallait survivre ; c’est quasiment comparable à l’esprit que l’on développe pendant les conflits.
C’est pourquoi le film est un peu long pour arriver à cette démonstration. On a compris assez tôt ce qui va se passer dans un village perché des Pyrénées espagnoles. On aurait pu l’écourter. En même temps, si l’on regarde entre les images, moins qu’entre les paroles, le personnage principal n’est pas si sauvage et dénuée d’émotion que cela ! On dirait aujourd’hui qu’il a du mal à exprimer ses sentiments et se cache derrière les postures classiques que l’on attribue à l’homme et la femme jusqu’au XXe siècle. Il devient compatissant, protecteur et agréable quand son partenaire manifeste du désespoir ou quand il se blesse ou tombe gravement malade. On revient en quelque sorte à l’animalité du personnage qui fait fi de sa dureté apparente quand il doit se porter au secours d’une personne dont on remarque qu’il a finalement beaucoup plus besoin qu’il ne pense. Il sait être attentionné, prévoyant et ne persiste jamais à vouloir imposer à son partenaire cette vie ingrate. Ceci étant, à la fin on est en droit de se demander si l’homme le plus réactionnaire et le plus dépassé n’est pas le père des deux femmes ! Le discours du mari est extraordinairement lucide parfois sarcastique au point de nous faire comprendre que ce n’est pas lui qui réclame une présence humaine à côté de lui dans ce monde de brut, mais un destin auquel on n’échappe pas. L’épilogue du film semble le montrer puisque aucune femme ne restera dans les hauteurs et que la fin du film ramène au début. Une certaine résignation règne jusqu’au bout.