Après des études d’audiovisuel à Paris, Carine Tardieu travaille en tant qu’assistante réalisateur sur de nombreux films et téléfilms, puis comme scénariste pour la télévision. Entre 2002 et 2004, elle réalise deux courts métrages multiprimés dans les festivals internationaux, Les Baisers des autres, puis L’Aîné de mes soucis qui remporte le prix du public au festival de Clermont-Ferrand. Elle est repérée par Christophe Rossignon (Nord-Ouest Productions) qui produit en 2007 son premier long métrage La Tête de maman, coécrit avec Michel Leclerc (Le Nom des gens). Pour son deuxième long métrage, elle adapte le roman Du vent dans mes mollets avec son auteure, Raphaële Moussafir. Sorti en 2012, le film est produit par Antoine Rein et Fabrice Goldstein (Karé productions), qui l’accompagnent à nouveau sur son troisième long métrage, Ôtez-moi d’un doute, coécrit avec Raphaële Moussafir et Michel Leclerc.
Carine Tardieu revient sur l'idée de départ du film :
"Elle m’a été inspirée par le récit d’un ami : à la mort de sa mère, ce Breton d’une cinquantaine d’années apprend que son père n’est pas son père. Il encaisse la nouvelle et engage un détective qui, après quelques mois de recherches, retrouve son père biologique, un vieil homme qui habite, lui-aussi, en Bretagne. Père et fils se prennent d’emblée d’affection l’un pour l’autre et nouent une relation très forte, à l’insu du premier père. Aujourd’hui, et pas mal de rebondissements plus tard, mon ami a désormais deux pères. J’ai trouvé son histoire tellement bouleversante que je lui ai demandé l’autorisation de m’en inspirer."
Ôtez-moi d'un doute a été présenté lors du Festival de Cannes 2017 à la Quinzaine des réalisateurs :
"Il y avait une grande émotion. Je crois que c'est la plus forte que j'ai ressentie depuis que je fais du cinéma", confie Cécile de France quelques heures après la toute première projection publique de cette comédie qu'elle porte avec François Damiens.
Le film, tendre et émouvante a fait chavirer le plublic de la Quinzaine des Réalisateurs, où il a été retenu, après un coup de coeur d'Edouard Waintrop, sélectionneur de la section parallèle du Festival, qui tous les ans aiment à mettre en lumière aussi des comédies ou comédies dramatiques, à l'image de Les Garçons et Guillaume, à table! de Guillaume Gallienne, Camille redouble de Noémie Lvovsky, ou encore Les Combattants de Thomas Cailley.
Carine Tardieu a co-écrit le scénario d'Ôtez-moi d'un doute en collaboration avec Michel Leclerc et Raphaële Moussafir :
"Michel travaillait lui-même sur un sujet autour d’un père et de son fils (il adaptait « La vie très privée de Monsieur Sim », de Jonathan Coe). Il s’est tout de suite montré enthousiaste à l’idée qu’on retravaille ensemble. Le récit de mon ami était riche en suspense, en émotion et en comédie. Il nous a pourtant fallu nous en détacher pour mieux le réinventer, réfléchir à tout ce qui pourrait faire écho à la problématique de notre héros. C’est ainsi que sont nés les personnages qui l’entourent et les intrigues qui leurs sont liées. Elles renvoient toutes, d’une manière ou d’une autre, à la question de la paternité ou plus généralement de la parentalité. Dans un second temps, Raphaële Moussafir s’est à son tour impliquée dans l’écriture pour faire ressortir la ligne claire du film, notamment en écrémant le trop plein d’histoires parallèles et en affinant les personnalités de chacun des personnages. Son intervention sur le projet a remis en question une bonne partie de notre travail, le processus d’écriture a été complexe et douloureux parfois… mais je ne regrette rien de ces mois de labeur", confie la réalisatrice.
Ôtez-moi d'un doute a été tourné en Bretagne en 2016 :
"La Bretagne a quelque chose d’ancestral du fait de son littoral très découpé, érodé... Et puis avec ses variations incessantes, je savais que la météo de cette région serait une mine de métaphores sentimentales. Mon scénario terminé et avant d’entrer véritablement en préparation, je m’y suis rendue avec mon premier assistant et ces journées de pré-repérages ont encore fait évoluer l’histoire. C’est en passant devant la carrière d’Elven que j’ai imaginé que le principal chantier d’Erwan (François Damiens) aurait pour décor ces immenses cratères rocheux et dunes de sable, parsemés de pins. Ce lieu où coexistent le minéral et le végétal, l’ancestral et le sensible, est une métaphore parfaite du chantier émotionnel qu’Erwan traverse tout au long du film. Et c’est aussi en découvrant l’épave fantomatique d’un chalutier échoué que j’ai choisi de faire de Bastien (Guy Marchand) un ancien marin pêcheur- jusque-là, il n’était qu’un simple plaisancier", explique la réalisatrice.
Carine Tardieu a choisi de donner au personnage d'Erwan (François Damiens) le métier de démineur. Elle explique :
"Dès les prémices de l’écriture j’avais une image en tête : celle d’un homme qui fouille, creuse la terre, et finit par faire exploser une bombe enfouie au plus profond. Je voulais symboliser cette idée qu’en creusant dans le passé, en remontant aux origines, on prend le risque de mettre à jour des secrets au potentiel… explosif. Pour les besoins du film, j’ai assez vite rencontré un vrai démineur, Heiko, dont la vie a également nourri le personnage d’Erwan. Après avoir accompli de nombreuses missions en Irak et en Afghanistan, Heiko a décidé de renoncer à se rendre dans des pays en guerre à la demande de sa fille qui craignait pour sa vie. Grâce à nos conversations, j’ai pu imaginer ce que cela pouvait représenter pour une très jeune fille comme Juliette (Alice de Lencquesaing), d’avoir un père qui chaque jour risque sa vie."
Carine Tardieu revient sur ses choix concernant les comédiens principaux d'Ôtez-moi d'un doute :
"Arrivée au choix de l’interprète, François Damiens s’est vite imposé : il est l’un des rares de sa génération qui ait à la fois un physique imposant et une fragilité presque enfantine. Pour Anna, je voulais une actrice qui dégage une force apparente, une virilité disons… « érotique », une certaine maturité aussi : elle devait pouvoir affronter Erwan. Et puis j’avais depuis très longtemps envie de travailler avec Cécile de France. Ces deux là se ressemblent au fond : Anna, comme Erwan, se veut maître de ses émotions, mais elle est évidemment bien plus fragile qu’elle n’en a l’air, tout comme Alice de Lencquesaing qui joue Juliette, et qui est à mon avis l’une des meilleures actrices de sa génération. Je me souviendrais toujours de l’enthousiasme de mes collaborateurs ainsi que des autres comédiens lorsque je leur ai annoncé qu’André Wilms avait accepté le rôle de Joseph.
Cécile entre autres, rêvait de travailler avec cet acteur aussi à l’aise sur les planches que chez Kaurismaki, et François est immédiatement tombé sous son charme, ce qui a sans aucun doute participé à nourrir leur complicité à l’image. Pour le rôle de Bastien, j’avais envie d’un acteur porteur d’une image disons plus « populaire » : Guy Marchand est une figure incontournable du cinéma et de la télévision, j’ai l’impression d’avoir grandi avec lui, si bien qu’il était simple pour moi de l’imaginer dans le rôle du père d’adoption d’Erwan, celui qui a toujours été là… Quant à Esteban, je l’avais repéré dans le dernier film de mon amie Solveig Anspach « L’effet Aquatique », dans lequel il incarnait un caissier irrésistible de drôlerie."
Carine Tardieu se confie au sujet de ses inspirations pour Ôtez-moi d'un doute :
"J'ai un amour très ancien pour Pierre Richard ! Entre deux Claude Sautet, j’ai été nourrie, entre autres, aux films de Gérard Oury et Francis Veber : « La Carapate », « Les Compères », font partie de mes références en termes de comédie. À un moment dans « Ôtez-moi d’un doute », le regard atterré que porte François Damiens sur le personnage incarné par Esteban me fait irrésistiblement penser à celui de Depardieu sur Pierre Richard dans « La chèvre » : c’est pour moi assez jubilatoire !"
Carine Tardieu explique sa manière de travailler avec ses acteurs sur le plateau :
"Avant le tournage, je leur raconte l’histoire de leur personnage, et leur concocte même des CD musicaux avec des titres qui me semblent refléter leur personnalité. « Ma fille », de Serge Reggiani, pour Erwan, « Life Made Me Beautiful at Forty », d’Eartha Kitt, pour Anna, « Father and Son », de Cat Stevens, pour Bastien, « Le Temps des cerises », pour Joseph, entre autres… Certains s’en servent, d’autres ne l’écoutent même pas ! Mais peu importe, ça me sert à moi aussi, à m’approprier mes personnages, à leur trouver une musique… Aussi, La costumière, Isabelle Pannetier m’a beaucoup aidée à les incarner : une paire de lunettes, une canne, un blouson… il suffit parfois d’un élément tout simple pour que l’acteur trouve son personnage.
J’ai organisé une rencontre (très émouvante) entre François Damiens et mon ami, à l’origine de cette histoire. François a aussi trouvé conseil auprès d’Heiko, le démineur, qui lui a indiqué les bons gestes sur le tournage. Sur le plateau, je fais des mises en place mais je répète peu. Je suis très précise dans mes indications, aussi bien sur les déplacements que dans les intentions de jeu… Je veux tout contrôler en fait !... Mais je suis aussi très à l’écoute des propositions des acteurs et heureuse quand en fin de journée, j’ai su me laisser surprendre et saisir l’inattendu."
Carine Tardieu explique son approche de la musique pour Ôtez-moi d'un doute :
"Je tenais à utiliser le Concerto pour mandoline, de Vivaldi, au début du film, tout à la fois empreint d’une forme d’urgence et d’une apparente légèreté : il m’avait bouleversée, enfant, dans L’Enfant sauvage, de François Truffaut et plus tard dans Kramer contre Kramer, un autre film sur les relations père/fils. Le Papageno, de Mozart, était là aussi dès l’écriture. Il n’a pas été facile pour Eric Slabiak de trouver sa place entre toutes ces musiques classiques. Il est arrivé tôt au montage et sa force de proposition a été essentielle : c’est à force d’allers-retours entre son studio et notre salle de montage que nous avons fini par trouver un juste équilibre entre sa composition et la nôtre.
Toujours dans le désir de nous inspirer de l’énergie des films de Sautet, nous avions réécouté les musiques que Philippe Sarde avait composées pour lui. Assez vite, pourtant, nous avons choisi de nous en distancier : Ôtez-moi d’un doute avait finalement effectué une légère glissade vers l’univers de certaines comédies sentimentales des années soixante-dix/quatre-vingt – comme Tout feu tout flamme, de Jean-Paul Rappeneau. La ritournelle écrite par Michel Berger pour ce film a d’ailleurs inspiré l’un des principaux thèmes d’Ôtez-moi d’un doute."