Nicolas Silhol a toujours été intéressé par les rapports humains en entreprise, son père étant professeur de management en école de commerce et consultant en Ressources Humaines. C'est avec la série de suicides chez France Télécom qu'il a découvert qu'une sorte de système de "management par la terreur" pouvait détruire des vies et des individus. Il avance : "Le cynisme du PDG de France Télécom, déclarant qu’il fallait mettre un terme à cette "mode du suicide", m’avait particulièrement choqué. Comme si c’était ceux qui souffrent qui étaient responsables..."
Avec Corporate, Nicolas Silhol réalise son premier long métrage. Son premier court métrage, centré sur une séance de jeu de rôles dans une entreprise de pompes funèbres, parlait déjà du monde du travail. "C’était plutôt une comédie qui décrivait l’entreprise comme un théâtre où chacun doit jouer un rôle et mettre de côté ce qu’il ressent en tant qu’individu", précise le metteur en scène.
L'une des raisons ayant poussé Nicolas Silhol à choisir Céline Sallette pour le rôle principal réside dans le défi du contre-emplois. Le personnage d'Emilie est en effet une femme froide coupée de ses émotions tandis que l'actrice est expressive, libre et empathique. "C’est devenu une vraie stimulation pour elle et pour moi de construire un personnage plutôt loin d’elle. J’avais l’intuition que si Céline contenait son émotion et que celle-ci passait surtout dans son regard, ce serait encore plus fort", se rappelle-t-il.
Le personnage d’Emilie joué par Céline Sallette a été inspiré à Nicolas Silhol par le témoignage d’une vraie manageuse. Cette dernière a raconté au cinéaste à quel point elle mettait la pression à des salariés dans la perspective très claire de les pousser dehors. "Après, elle m’a simplement dit : « Ça ne passera plus par moi. ». J’ai trouvé cette formule très forte et très courageuse. C’est l’affirmation d’une rupture personnelle avec le système", se souvient Silhol.
Comme ce qui intéressait Nicolas Silhol résidait bien plus dans les questions juridiques et éthiques que le quotidien de l’entreprise, il a surtout enquêté auprès des inspecteurs du travail. Le réalisateur a ainsi découvert au travers de leur prisme les outils de management comme la courbe du deuil, la mobilité forcée, l’évaluation comportementale, etc. Par ailleurs, Silhol a aussi cherché, dans son film, à rendre justice à cette profession, qui souffre d’une réputation affreuse.
Côté mise en scène, Nicolas Silhol voulait que le monde de l'entreprise soit représenté avec beaucoup de cadres tranchants qui découpent les personnages et les emprisonnent dans ces espaces vitrés cloisonnés. "L’idée était de jouer aussi sur les points de vue, que l’on sente les regards qui pèsent sur Emilie, notamment dans la première partie où l’on est immergé dans ses perceptions un peu paranoïaques, dans une tension permanente", précise-t-il.
Par opposition, Nicolas Silhol a davantage filmé les scènes à l'extérieur ("davantage sous le signe de l’énergie et de la vie") caméra à l’épaule. "Avec l’envie que cet extérieur, par l’entremise de Marie Borrel, rentre à l’intérieur de l’entreprise. Le parcours d’Emilie fait évoluer la mise en scène. Ça devient plus vivant, ça bouge, Emilie sort du cadre. Le film sort aussi un peu de lui-même grâce aux enregistrements vidéo et audio. J’aime bien utiliser d’autres supports, je l’avais déjà fait dans mes courts-métrages, comme une mise en abyme de la fiction. Ce sont des documents bruts, hyperréalistes, comme des preuves ultimes de la vérité des personnages", confie le metteur en scène.
Après avoir campé un ignoble patron dans Tout de suite maintenant, Lambert Wilson reste dans le monde du travail avec Corporate en se glissant dans la peau d'un DRH. Nicolas Silhol ne voulait pas faire de ce personnage une caricature de salaud. Le cinéaste explique : "C’est plus sa posture qui est choquante, celle du refus de toute responsabilité. Il est en fait celui qui incarne le déni avec le plus de force. Dans le rôle de cette figure d’autorité, j’avais envie d’un acteur très connu, qu’on identifie tout de suite. Lambert a cette élégance, ce charisme, et en même temps il a un grand capital sympathie auprès du public parce qu’il est aussi touchant et sincère."
Violaine Fumeau incarne Marie, l’inspectrice. Contrairement au personnage tenu par Céline Salette, Nicolas Silhol voulait que l'actrice jouant Marie soit peu connue pour accentuer sa crédibilité. "J’avais déjà travaillé avec Violaine sur mes courts métrages. Ce rôle d’inspectrice était pour elle. Elle a passé du temps avec des inspectrices et je pense qu’elle a intimement ressenti leur combat au quotidien. Autant le personnage de Céline me semble loin d’elle, autant Violaine pourrait très bien être inspectrice du travail", note le réalisateur.
Plusieurs films se sont déjà penchés sur des personnages exerçant une profession liée aux ressources humaines. C'est par exemple le cas du récent et sombre Carole Matthieu dans lequel Isabelle Adjani est médecin du travail au sein d'une entreprise particulièrement violente ; In The Air où George Clooney est chargé d'annoncer à des employés qu'ils sont licenciés ; ou encore Ressources humaines porté par un jeune Jalil Lespert dans la peau d'un stagiaire RH.