Wang Bing est un cinéste chinois spécialisé dans le documentaire. Ses précédents films ont tous été très remarqués, notamment par leur radicalité ; on peut citer À l'ouest des rails, documentaire fleuve de 9 heures sur la lente agonie des usines et des hommes à Shenyang, un quartier industriel voué à la destruction ou Les 3 soeurs du Yunnan, film suivant le quotidient de 3 jeunes sœurs vivent dans les montagnes de la Province du Yunnan, une région rurale et isolée, loin du développement des villes.
Wang Bing travaillait sur un autre projet quand il a décidé de tout stopper pour s'attaquer à Ta'ang : "Le film précédent racontait l’histoire de très jeunes enfants chinois quittant leur domicile pour aller travailler à Shanghai. En suivant certains d’entre eux, nous sommes arrivés à la frontière entre la Chine et la Birmanie, dans la province de Yunnan, alors même que la guerre venait de commencer. J’ai rencontré des femmes fuyant avec leurs enfants et j’ai décidé de filmer les réfugiés. A ce moment- là, il n’y avait personne sur place pour les aider : ni ONG ni qui que ce soit d’autre. Nous n’étions absolument pas embarqués avec les forces gouvernementales et le fait de filmer s’est tout de suite avéré extrêmement dangereux", confie le cinéaste.
Dans Ta'ang, Wang Bing s'intéresse donc à ce peuple ayant donné son titre au film. Il s'agit d'une minorité ethnique birmane contrainte de s’exiler en Chine pour sa survie. Depuis début 2015, de violents conflits armés obligent des milliers d'enfants, de femmes et de personnes âgées à s'exiler en Chine.
Wang Bing relate les difficultés rencontrées par son équipe et lui-même au moment de commencer le tournage : "Il y avait des soldats, des bandes, des trafiquants de drogue et des criminels qui profitent du désespoir des gens. Ils savaient tous que nous n’avions pas les autorisations nécessaires pour filmer et ils ont essayé de nous faire renoncer par tous les moyens possibles. De plus, les réfugiés avaient du mal à accepter la présence de la caméra : bon nombre d’entre eux avaient peur d’être filmés et c’est pourquoi nous avons essentiellement filmé la nuit et non pas à la lumière du jour. Lorsque nous sommes arrivés au camp, nous ne nous sommes pas mis à filmer tout de suite. Nous étions également assez tendus, très inquiets de la situation autour de nous et nous nous posions des questions sur la façon de procéder. Nous nous demandions comment filmer ces gens, comment les cadrer et ainsi de suite. Peu à peu, nous avons noué une relation avec certains d’entre eux, nous avons fait connaissance et trouvé une manière de continuer."
L'équipe de tournage de Wang Bing ne comprend que 3 personnes : lui-même, son producteur et l'opérateur caméra.
Wang Bing explique pourquoi il a préféré filmer de nuit de nombreuses séquences du film : "L’image des gens regroupés autour d’un feu revêt également une forte dimension théâtrale. On se trouve presque en mesure de mettre en scène des paroles. Cette image évoque une dimension orale et collective, à savoir l’histoire de leur vie qu’ils racontent à ce moment-là, une dimension que j’ai voulu intégrer au film. De plus, la nuit, l’atmosphère était plus intime. Je repense à la séquence où les femmes discutent dans le champ de maïs et que je trouve particulièrement belle. Dans la salle de montage, nous avons dû faire des choix : je disposais de nombreuses heures de matériel filmé, particulièrement durant les premiers jours, lorsque la situation était plus calme. Dès que le conflit s’est durci, nous avons été soumis à toutes sortes de pression. Je voulais retourner vers ces femmes, mais cela n’était plus possible."
Ta'ang a été projeté à la Berlinale 2016 ainsi qu'au Festival de Locarno et à celui de La Rochelle la même année.
Wang Bing a décidé de garder dans le montage final les moments où les réfugiés s'adressent directement à lui : "Je me demandais constamment si la caméra risquait d’ennuyer ces gens qui vivaient une tragédie aussi terrible. J’ai décidé de conserver les moments où ils me regardent car cela s’est passé de cette manière et surtout parce que c’est lié à mon rôle de réalisateur. Pour faire face à ce type de réalité, il est nécessaire de se remettre soi-même en question, d’être concentré et de respecter la personne qui se trouve en face de vous. Je n’aurais pas pu agir différemment", indique le metteur en scène.