Encensé par la critique international, entaché d’une réputation aussi houleuse que gargantuesque pour un film de ce genre, Grave de Julia Ducournau, bien avant de sortir dans les salles obscures des multiplexes lambda, jouissait déjà d’une visibilité copieuse due à sa tournée festivalesque retentissante.
Mais jouir d’un tel crédit est-il si favorable que ça ? Sans doute, mais d’autre part ce label aura tendance à décupler les attentes de spectateurs avertis ou d’aficionados de la première heure ! Ce qui amène certaines personnes (dont moi) a placer de nombreux espoirs qui n’ont fait que se renforcer au fur et à mesure des avancées de ce processus interminable qu’est la promotion et la distribution.
Grave était donc, à bien des égards, le film du moment, mais surtout, le film qui pouvait venir contrer les idées préconçues qu’encore aujourd’hui, une majorité de personnes et surtout de producteurs se font sur le cinéma de genre francophone, celles de penser que soit il est mauvais, soit il n’est pas rentable.
Entre excitation et appréhension, les dernières minutes qui précédèrent le début de la projection, furent les derniers instants d’une illusion archangélique d’un film qui n’existera malheureusement jamais…
Car après la projection et toujours à l’heure d’aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, je suis habité d’un sentiment contradictoire et ambiguë, confirmant que cet objet cinématographique est unique mais qu’il est aussi très loin d’avoir conquis mon estime.
Sans aucun doute, cette première réalisation signera un renouveau dans le cinéma de genre francophone. Il est fort à penser que sa réalisatrice, avec ce produit hybride, va s’attirer les vues d’une armada de producteurs étrangers véreux qui verront en cette ancienne pensionnaire de la Fémis, un bel atout pour diriger les nombreuses commandes qui traînent dans leurs tiroirs.
Elle répète qu’elle n’est pas tentée par une expérience américaine, espérons qu’elle tienne parole et qu’elle ne répète pas les erreurs commises par ces prédécesseurs (Laugier, Aja, Gans).
Mais là où ces derniers revendiquaient indubitablement leurs inspirations, voire rendaient hommages à une époque, à un type précis de cinéma, Ducournau, décide, évitant l’hommage complaisant et pompeux, de mêler ses différentes influences au genre horrifique (body horror, film de cannibales) avec des formes plus commerciales (teen movie, comédie).
Les transitions de tons parfois douteuses et le sentiment de ne pas toujours savoir dans quelle case se place le film, provoque immanquablement un sentiment de confusion. L’impression que Grave se situe constamment entre toutes ces catégories, sans jamais vraiment savoir lesquelles emprunter, à quel moment et de quelle manière, laisse un sentiment amer entre la déception et la frustration. Ce qui donne forcément lieu à des quiproquos insoupçonnés où certaines séquences qui devraient susciter le rire donne lieu à des instants embarrassants ou d’incompréhensions totales et vice-versa.
Il faut également signaler, que bien que vendu et catalogué comme un film d’horreur, Grave n’en est pas un. Certes, il y’aura du sang, des cadavres, des séquences assurant un malaise efficace, mais vous n’aurez nullement des scènes d’angoisses, des screamers ou quelconques autres canons horrifiques.
Ducournau, d’ailleurs, l’avoue, elle-même en interview, qualifiant plutôt son film de « cross over », ce qu’il est indéniablement.
Il n’en est que plus regrettable que la tentative, aussi louable soit-elle, est en partie ratée, tant ces intensions étaient évidentes et sont perceptibles à l’écran.
N’évinçons pas, il serait très malvenue de considérer que le film est un échec, les quelques qualités qui sont à mettre au profit de la belle Julia et de son équipe :
- Premièrement l’univers créé et installé, le cadre estudiantin et ces fameuses bleusailles (bizutage) offre des séquences esthétiquement intéressantes (
la première « courte » nuit de Justine à son arrivée à l’université
) mais également un contexte à la réalisatrice française pour y construire des thématiques intrinsèques à son héroïne principale (transformation du corps ici aussi bien implicite qu’explicite, la vie d’étudiant, le rapport à la famille,…).
- Deuxièmement, ces jeunes comédiens qui sont irréprochables et dirigés de manière impeccable par Ducournau qui révèle les jeunes Garance Mirilier, Rabah Nait Oufella et Ella Rumpf. J’aimerais personnellement pointer la participation de Laurent Lucas dont la présence toujours aussi magnétique à l’écran me fascine à chaque fois qu’il apparaît.
Enfin, il faut tout de même le concéder, Julia Ducournau fait preuve d’une redoutable maitrise dans sa mise en scène et d’un sens du cadre et du tempo saisissant pour une première réalisation.
Malgré une sélection musicale parfois hasardeuse (scène du miroir), soulignons la partition de Jim Williams très « giallo » où la paternité avec un groupe comme Goblin ne me semble pas du tout être un heureux hasard.
Planchant déjà sur son deuxième projet, la jeune Julia Ducournau semble être bien armée pour dépoussiérer un cinéma de genre en France qui tournait en rond. En espérant que ce Grave, malgré mes réticences ouvre une nouvelle voie et pousse des jeunes réalisatrices et réalisateurs à continuer de se battre pour ce genre de projets !