La réalisatrice Jihane Chouaib a voulu se confronter aux souvenirs douloureux de son Liban natal en mettant en scène Go Home :
"C’est surtout à l’amnésie collective du Liban que j’ai voulu me confronter ! C’est un pays dont la guerre civile a produit 17 000 disparus, fantômes errants, nondits, encore sans sépulture – et dont il est impossible de faire le deuil. Go Home pour moi a été la tentative d’ouvrir la boite de Pandore de nos mémoires d’enfants de la guerre, de réfugiés. Je voulais prendre le risque, par la fiction, d’aller voir ce qui s’y cache, d’affronter l’incompréhensible."
Jihane Chouaib revient sur le point de départ qui a lancé le projet :
"Une image. Une femme avec une colonne vertébrale très droite, un air de défi sur le visage, un panache, et en même temps les deux pieds dans les ordures. Les ordures, la façon dont on les gère, c’est très emblématique de la guerre et de l’immédiat après-guerre, quelle que soit l’époque d’ailleurs. Très symbolique aussi. Quand votre jardin est devenu une décharge, c’est impossible de ne pas le prendre comme une insulte, alors qu’il est probable que ce ne soit pas le cas, que la maison était abandonnée et qu’il n’y avait plus de ramassage d’ordures, tout simplement."
Jihane Chouaib nous explique pourquoi elle a choisi d'intituler son film Go Home :
"Go home, c’est quelque chose qu’on entend très souvent quand on est immigré. “Go home”, c’est-à-dire “rentre chez toi”. Et un jour, on rentre dans son pays d’origine, et on entend “go home” à nouveau. On n’est plus de là, on n’est plus chez soi. Parce qu’on a changé, et parce que le pays a changé. Alors, qu’est-ce que ça veut dire, “rentrer chez soi”, aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’“être chez soi”, dans un monde où l’identité est réinventée par les migrations ? Chez soi, c’est où ?", interroge la cinéaste.
Jihane Chouaib confie les raisons qui l'ont poussées à choisir Golshifteh Farahani pour interpréter le rôle de Nada :
"Elle a beaucoup de fantaisie, un esprit très enfantin. Elle entre dans le jeu tout de suite, pas seulement au sens de jouer un rôle : elle aime jouer avec les gens, inventer quelque chose avec eux, ce qui était très important par exemple dans la manière d’être de Nada avec son frère, très enfantine. Golshifteh a tout de suite saisi ce côté du personnage, en même temps que son extrême solitude : même dans les moments dramatiques, Nada sait qu’elle est aussi un peu en train de jouer à ce drame et à cette guerre."
Jihane Chouaib a tenu à travailler avec des comédiens non-professionnels lors du tournage au Liban :
"Certains sont des acteurs professionnels, comme Maximilien Seweryn ou Julia Kassar, mais nous avons aussi recruté beaucoup de comédiens non-professionnels au Liban, notamment François Nour, qui joue Jalal, et qui est formidable. Il avait juste fait un peu de théâtre amateur. Pour l’occasion, il a retravaillé son accent parce qu’ayant vécu en France petit, il parle français presque comme un parisien… On ne s’en douterait jamais en voyant le film !", indique la cinéaste.
Comme Nada, son personnage, qui a quitté le Liban, Golshifteh Farahani a dû quitter son pays natal, l'Iran, pour s'exiler en France, à cause de pressions politiques et religieuses après son engagement sur le film Mensonges d'Etat avec Leonardo DiCaprio. La comédienne revient sur cette proximité avec Nada :
"Je crois que c’est un peu différent car Nada a quitté son pays très jeune et donc est toujours à la recherche de ses racines. Quand on déracine un arbre tout jeune, il continue à grandir ailleurs sans trop de problème, mais quand on déracine un arbre de 25 ans c’est impossible de le replanter quelque part. J’ai quitté à cet âge l’Iran, donc pour moi il n’y a aucun doute, mon pays c’est l’Iran et nulle part ailleurs."
La maison de Nada au Liban est un véritable personnage en soi qui a demandé un soin particulier, comme l'explique la réalisatrice Jihane Chouaib :
"Cette maison. Il y en a beaucoup au Liban, qui n’ont pas été restaurées depuis la guerre et restent comme des sortes de témoignages, des capsules temporelles. En revanche, très peu sont pratiquables pour tourner ! Dans celle que j’ai choisie, tout était naturel. Il n’y avait pas besoin de faire des acrobaties pour cadrer, de tourner une partie des scènes ailleurs… Et puis elle avait sa personnalité : traditionnelle, mais on y sent aussi la personnalité de son propriétaire, quelqu’un qui se voyait un peu plus grand. Comme elle avait été plus épargnée, il a fallu faire sur les murs ce travail de grattage, de graffitis, de dessins, mettre de faux impacts de balles, suggérer la présence de l’histoire… Changer la texture et la couleur des murs, qui étaient très clairs. Or je voulais un fond suffisamment foncé pour que les visages puissent ressortir sur l’ombre."
La réalisatrice Jihane Chouaib et sa monteuse son Béatrice Wick ont mis un point d'honneur à faire un travail très minutieux sur le son :
"Nous avons développé notre monde sonore et notre manière de faire. Elle travaille beaucoup les sons naturels mais n’a pas de banque : elle les fait ou les fait faire, au cas par cas. Et elle a une manière de travailler ces sons naturels qui fait qu’ils deviennent une musique en soi. Par exemple, la première fois que Nada se confronte à Jalal, en sortant de chez elle, l’ambiance sonore est chargée, on entend sans vraiment identifier : l’alarme d’une voiture, un moteur… Le son devient une présence à part entière, mystérieuse, une narration parallèle."