Avec sa magnifique ouverture en trompe-l'oeil nous présentant son héroïne dans l'exercice de son art, "In Darkness" nous installe dans une ambiance très réussie de thriller hitchcockien où les faux-semblants auront bien entendu un rôle déterminant à jouer dans ses intriguants prémices...
Aveugle depuis l'âge de cinq ans mais évoluant en parfaite autonomie, Sofia (Natalie Dormer) est une talentueuse pianiste dans un orchestre dirigé par un compositeur de musiques de films. Un jour, dans son immeuble qui a vraisemblablement échappé à toute tentative d'insonorisation, Veronique (Emily Ratajkowski), sa voisine avec laquelle elle entretenait une relation amicale se suicide en sautant dans le vide après que Sofia l'ait entendue se disputer avec un inconnu. Pour compliquer l'affaire, précisons que Veronique était la fille d'un philanthrope serbe accusé de crimes de guerre et que le mystérieux inconnu avec qui elle a partagé ses derniers instants est persuadé d'avoir été vu dans sa fuite par Sofia...
D'ailleurs, la donne se complexifie encore un peu plus avec le personnage de Sofia elle-même. Pourquoi, lors de sa déposition, la jolie blonde ment-elle à la police sur ce qu'elle a entendu avant le présumé suicide et en disant qu'elle connaissait à peine Veronique alors qu'une scène nous a prouvé le contraire auparavant ? Quels sont aussi ces messages en braille trouvés dans sa boîte en lettre et qu'elle brûle aussitôt après leur lecture ? Bref, on nage en plein mystère avec cette héroïne au comportement plus qu'énigmatique et qui en cache forcément bien plus qu'elle ne veut en révéler.
Très réussie, la première partie de "In Darkness" installe autour de Sofia une atmosphère trouble où un ensemble de personnages à multiples facettes gravite en poursuivant leurs propres desseins entre manipulations et lourds secrets. Même sur la forme, le film d'Anthony Byrne (coécrit et produit avec son actrice principale) fourmille de petites trouvailles visuelles pour renforcer encore un peu plus l'étrangeté de cette ambiance jouant avec les archétypes du film noir avec un certain degré de modernité. Du quotidien de Sofia retranscrit par le prisme de sa privation sensorielle à une scène d'agression filmée uniquement grâce aux ombres des protagonistes, l'inventivité de la mise en scène se conjugue à une intrigue-puzzle comportant suffisamment de pièces a priori différentes pour nous donner envie de découvrir la manière dont elles vont s'assembler.
Seulement, comme par un péché de confiance excessive, "In Darkness" va rapidement vouloir trop en faire et incidemment griller toutes les cartouches de l'aura de mystère dont il se revêtait avec brio jusque-là.
Cela commence tout d'abord par des courtes scènes de flashbacks/rêves, présentes bien sûr pour amener une dimension onirique participant un peu plus à l'étrangeté de l'ensemble mais celles-ci dévoilent beaucoup trop d'informations, si bien que lorsque le but recherché par Sofia est révélé à l'écran, on a déjà plus ou moins compris de quoi il en retourne.
De même, ces révélations interviennent aussi trop tôt dans la construction globale du film, la deuxième partie de "In Darkness" en devient beaucoup plus classique avec ses tenants et aboutissants ainsi révélés et exposés. Encore plus intimement renforcée par un twist en cours de route, la confrontation recherchée par Sofia sera finalement l'unique moteur de la suite du long-métrage, tous les personnages secondaires dont on espérait pourtant plus au vu de leurs portraits esquissés des débuts seront désormais cantonnés à des rôles de pions permettant à l'héroïne d'arriver à des fins. "In Darkness" se laissera toujours agréablement suivre et réservera quelques bons moments avec une réalisation toujours susceptible de surprendre dans tous les registres (le superbe plan-séquence dans le van) mais les promesses de la première partie ne seront hélas que partiellement tenues. À l'image de son rebondissement final un brin idiot, le film semblera s'agiter dans le vide jusqu'à son terme pour tenter de retrouver vainement la magie des premiers instants qui nous avait tant séduit.
Il n'en reste pas moins qu'en voulant renouer avec une certaine idée du thriller qui parlera à tous les amateurs du bon cinéma, "In Darkness" se pare de nombreux atouts à commencer par sa mise en scène vectrice d'une réelle et intriguante atmosphère ou par la solidité de son interprétation (Natalie Dormer est on ne peut plus convaincante). Dommage que, sur le fond, le film abatte trop vite les cartes du mystère en son coeur pour retourner dans les clous d'une intrigue conventionnelle...