Okja est un conte : à partir du moment où l’on accepte ce présupposé, on peut être en mesure de l’apprécier.
Après une ouverture assez ébouriffante calquée sur un clip marketing adepte du Green Washing, et fleurant bon la satire, place à la traditionnelle relation entre l’enfant et le monstre. Reprenant certaines des questions soulevées dans The Host, la créature résultant des expérimentations irresponsables des humains, le cinéaste prend soin de caractériser le plus possible son héroïne, fleur d’innocence dans un monde cynique, et Okja, porc géant dont le visage a tout du chien le plus fidèle. Tout ceci est mignon, à n’en point douter ; la nature est belle, la relation soudée, la musique est jolie.
Dans la mesure où l’une des qualités de Bong Joon-ho est de toujours nous surprendre, on ne saurait lui reprocher d’être déconcerté par cette joliesse généralisée. Les éléments perturbateurs à venir vont rester dans cette atmosphère de comédie, particulièrement soulignée par une musique qu’on croirait sortie des films de Kusturica.
Le rythme est enlevé, les séquences d’action d’une maitrise indéniable, et le plaisir à détruire le système assez jubilatoire, notamment dans le saccage d’un supermarché par la bête, ou les actions des militants du front de libération des animaux.
La comédie l’emporte le plus souvent, personne, à l’exception de la jeune fille, n’échappant à la satire ; c’est l’occasion pour les comédiens de se surpasser en matière de caricature, probablement ravis de quitter l’univers pudique d’Hollywood pour l’imaginaire débridé du coréen. Jake Gyllenhaal en roue libre, Tilda Swinton en double exemplaire (ce qui devient une manie après Tom Hardy et Fassbender) : on se croirait un peu dans l’univers bigarré de Tim Burton, ce qui n’est pas forcément agréable et peut occasionner quelques soupirs irrités.
Si Okja peut remporter l’adhésion, c’est grâce à sa sincérité générale. La dénonciation de la société de consommation, des leurres du système publicitaire et de l’horreur de l’industrialisation, pour peu originale qu’elle soit, font souvent mouche ; la séquence finale dans les abattoirs permet ainsi de durcir le ton, et le dénouement est loin d’apporter les satisfactions conventionnelles du conte, établissant certains parallèles avec les heures les plus sombres de l’histoire des humains. Le mélange des tons chers à Bong est donc bien présent, mais dosé de manière plus inégale, et sous le glacis d’un ensemble pop qui ne lui rend pas toujours service.
Car cette fable, à trop vouloir jouer à l’international, prend les risques de l’édulcoration, voire de la concession malaisante : le placement de produit éhonté pour Apple donne tout de même de sérieux coups de griffe à la satire, et l’on en vient à souhaiter ardemment le retour annoncé du cinéaste au bercail, pour des histoires moins ambitieuses, mais autrement plus profondes.