Passons donc sur la polémique entourant le dernier né du bestiaire de Joon-Ho Bong, production Netflix sélectionnée à Cannes cette année, cela n’est finalement qu’une question de distribution, quand bien même, évidemment, il est dommageable de se priver d’une vision sur grand écran d’un film à la photographie, la mise en scène aussi soignées. Okja, succédant dans la filmographie du cinéaste sud-coréen à Memories of Murder, the Host, Snowpiercer, pour n’en citer que quelque uns, nous renvoie à l’imaginaire dévorant de son auteur, sa fascination pour un décalage fantastique toujours soigneusement intégré à une forme de chronique sociale, une société banalisée, asservie et finalement, dominée. Lorsque le monstre, en l’occurrence ici, n’est plus celui qui ravage, qu’il faut craindre, mais qu’il devient production et source d’un espoir d’une consommation effrénée, il n’est dès lors plus question que de morale. A l’inverse des us et coutumes dans le genre, c’est l’homme qui devient le monstre.
Okja, un cochon géant, hybridation, création d’une multinationale américaine en vue d’une future distribution massive d’un nouveau genre de viande, est enlevé à ses maîtres dans les profondeurs des compagnes coréennes à sa maturité. Seulement, la brave bête est devenue, au fil du temps, l’ami d’une jeune fille qui tentera, par tous les moyens, de remettre la main sur son fidèle compagnon, aidée par-ci par-là par une association de protection des animaux aux agissements pour le moins répréhensibles. Un pitch, sur le papier, qui semble un tantinet niais. Oui, mais dans les faits, le cinéaste coréen parvient à en tirer une très belle comptine sur l’amitié, une dénonciation habile de la société de consommation, d’une mondialisation déshumanisée. Joon-Ho Bong, en toute limpidité, livre un film divertissant, intelligent et remarquablement mis en scène alors qu’il aurait été si facile de tomber dans d’innombrables pièges. La preuve, s’il en est besoin, que le bonhomme est capable de tout, maintenant toujours sur son bon chemin des projets d’apparences casse-gueule.
La modélisation et l’intégration de la créature est tout simplement prodigieuse, sans écart, d’une remarquable fluidité. Entre bestiaux de dessins-animés et pachyderme revisité, Okja est sans conteste le clou du spectacle. Mais n’oublions pas de saluer les prestations des acteurs coréens, en particulier de la fillette, tout bonnement touchante. Quant au casting international, qui n’est pas qu’un simple faire-valoir au vu de la localisation des évènements, gageons qu’autant Tilda Swinton que Jake Gyllenhaal se sont amusés comme des gamins dans la peau d’individus aussi détestables qu’amusants, des protagonistes hauts en couleurs et dignes d’un cinéma qui ne revendique aucune référence.
Oui, Joon-Ho Bong, en grand indépendant qu’il est, comme bon nombre de ses compatriotes, fleuron d’un cinéma asiatique qui ne cesse d’étonner, parvient contre vents et marées à réaliser un film à la fois loufoque, intelligent, divertissant et touchant. Mais soyons honnête, on sent que le cinéaste en a encore sous le pied et qu’il réfrène ici ses ambitions en s’adaptant au budget alloué. Les séquences de poursuites dans Séoul, grand moment de divertissement à elles seules, ne seront jamais renouvelées. D’ailleurs, la fin de long-métrage, si elle se veut moralement juste, sera décevante de par un certain manque d’ambition artistique. Pour terminer, n’entrons pas dans le jeu d’un potentiel militantisme pour la cause Vegan. Okja, c’est bien plus que ça. 15/20