''Okja'' : un film bien particulier. Une superproduction qui ne sortira pas en salle. Un film à gros budget, hollywoodien, mais incroyablement inventif. Tout part d'un homme : Bong Joon-ho. Ayant connu un succès commercial avec sa précédente (et réussie) réalisation, ''Snowpiercer : Le Transperceneige'' (2013), le coréen s'attelle à son projet. Seulement voilà, durant l'exploitation du ''Transperceneige'', Bong Joon-ho a vu son film tronqué de vingt minutes par la société de distribution Weinstein Company, qui a voulu sortir le film dans cette version courte. Si le réalisateur s'est vu triompher en imposant sa version, il décide, pour son prochain film, d'acquérir une totale liberté. Et, comme souvent pour ce genre de films à gros budget, éviter de devoir batailler contre producteurs, distributeurs... C'est chose faite, ''Okja'' est produit par Netflix, la célèbre chaîne de télévision américaine. La bonne nouvelle : Bong Joon-ho dispose d'une entière liberté et (ce qui n'est pas désagréable) d'un budget de 50 millions de dollars. La mauvaise : le film ne sort pas en salle en France. Enfin, pas tout-à-fait, puisque le film est sorti gratuitement dans quelques salles (4 ou 5 séances tout au plus en France). On peut être déçu que le film ne sorte pas en salle partout en France. Mais n'oublions pas une chose : grâce à Netflix, un immense cinéaste peut donner libre cours à toute sa fantaisie, à tout ce qu'il veut, en somme. Et ça, c'est de plus en plus rare.
Pour lutter contre la faim dans le monde, Lucy Mirando dirigeante de la société Mirando Corporation crée une nouvelle race : les super cochons, élevés aux quatre coins du monde. Okja est l'un de ses cochons (même si c'est une truie) qui vit avec une petite fille, Mija, dans les montagnes sud coréenne. Mais le jour où Okja est enlevée par Mirando et ses sbires, Mija se lance à leur poursuite. Dans son périple, elle croisera les membres du Front de Libération Animale.
Depuis quand une superproduction, genre cinématographique d'habitude si figé, ne nous avait-il pas procuré un tel frisson jubilatoire ? Certainement pas ''Le Transperceneige'' qui, tout en étant une réussite, était un film sombre et asphyxiant. Avec ''Okja'', Bong Joon-ho revient avec énormément d'humour, humour déjà présent dans ses films 100% coréen (''Memories of murder'' en 2003, ''The host'' en 2006 et ''Mother'' en 2009), mais délaissé avec''Snowpiercer''. Cet humour est la clef de voûte d' ''Okja''. Sur un sujet vraiment très sérieux (la dérive de l'OGM, les abattoirs...), qui pouvait être la proie à une réalisation lourdaude, empâtée et bourrée de pathos, le cinéaste coréen insuffle à son film un comique bien vu. On a beaucoup dit qu' ''Okja'' est une fable écologique. Oui, mais il faut souligner quelque chose d'important : Bong Joon-ho ne se prend pas beaucoup au sérieux. Et c'est cela qui permet à ''Okja'' d'éviter le message écolo facile. Bong Joon-ho peut nous dire quelque chose, il peut vouloir nous mettre en garde contre l'élevage intensif mais cela ne doit en rien faire d' ''Okja'' une œuvre ultra (et bêtement) militante : le but du film est tout simplement de nous plaire. Pour cela, le réalisateur coréen (aussi scénariste de son film) évite trois écueils si souvent présents dans cette catégorie de film. D'abord, Bong Joon-ho évite l'action pour l'action. Il y a en effet peu de scènes d'action dans ''Okja'' (une à Séoul, une aux Etats-Unis) : ces dernières ne sont ni trop longues ni trop courtes, et constamment inventives. Mais l'abus d'action n'est pas la seule source de « too much » dans les blockbusters. Il y a aussi ce qu'on appelle le pathos qui noie très souvent les superproductions. Et là encore, Bong Joon-ho contourne la larme facile en refusant de faire durer trop longtemps les scènes émouvantes (comme les scènes entre Okja et Mija). En fait, le comique n'est pas là que pour faire rire, mais (et surtout) pour désamorcer le trop d'action et le trop de pathos. Tout cela est, déjà, génial mais en plus, le Coréen évite un piège ultra-courant : le manichéisme. Un cliché présent dans les films à gros budget, mais aussi dans le cinéma en général. De nouveau, vantons l'intelligence du script qui ne clôture pas les personnages en gentils ou en méchants. Sur un sujet pareil, on aurait très bien pu avoir le schéma archi simpliste et archi simplet qu'est : les gentils écolos contre les méchants capitalistes. Ce n'est pas le cas car Bon Joon-ho, dans tous ses films creuse et approfondit le caractère de ses personnages. Déjà, dans le génialissime ''Memories of Murder'', le metteur-en-scène montrait à travers le portrait de deux flics (l'un à priori cultivé et honnête, l'autre à priori pourri) que les rôles pouvaient s'inverser et que l'âme humaine était infiniment complexe. Même traitement pour ''Okja''. Il n'y a pas les bons d'un côté, les méchants de l'autre. Simplement des êtres humains aux caractères parfois radicalement différents. Ainsi, si Lucy Mirando (la grande Tilda Swinton) cache au monde que les cochons sont élevés dans de mauvaises conditions et qu'ils sont issus de la culture de l'OGM, elle croit faire le bien autour d'elle. Son but est de se démarquer de son frère et de sa sœur, qu'elle considère comme ''psychopathes''. Et si la pensée du Front de Libération Animale est (plus où moins) la bonne, le metteur-en-scène prend un malin plaisir à ridiculiser certains de ses membres (avec raison, d'ailleurs). Point passionnant, les protagonistes les plus interéssants sont les plus sombres: le Dr. Johnny Wilcox (présenté dans un premier temps comme une sorte de gentil beauf américain puis comme un être plus malfaisant et pathétique) et Frank Dawson (second de la Mirando Corporation, aux desseins obscurs) formidablement interprétés par Jake Gyllenhaal et Giancarlo Esposito. Mais finalement, c'est Mija qui a toute notre attention. C'est un protagoniste pertinent car le seul a ne pas avoir d' idéologie particulière : elle ne veut qu'une chose, récupérer Okja. Bong Joon-ho est favorable à cette petite fille.
Et à ce sujet, on est obligé d'aborder le cas de deux scènes qui éclaircissent le sens et le propos profonds d' ''Okja''. La première concerne le choix que laisse le Front de Libération Animale (mené par Paul Dano) à Mija : se servir d'Okja pour dénoncer les crimes commis par Mirando Corporation, ou laisser Okja repartir dans les montagnes avec Mija. Or, Mija chosit la seconde option et ainsi refuse de lutter pour l'environnement. Le deuxième scène est l'une des dernières : Mija sauve Okja sans chercher à apporter une quelconque aide aux nombreux supers-cochons destinés à l'abattoir.
Ici, le metteur-en-scène à travers les yeux de Mija se fait sans illusion sur le capitalisme et les organisations qui luttent contre celui-ci. Le système ne peut être changé car il est basé sur des racines trop profondes (
même le scandale de Mirando Corporation finit, on le devine, par s'estomper
) et un nombre trop considérable d'adhérents au système
(Lucy Mirando chute mais est très rapidemment remplacée par... sa sœur tandis que Dawson gère tranquillement tout cela dans son coin
).
La fin du film est terrible car Bong Joon-ho montre les ultra-capitalistes comme triomphant. Et les écolos ? Tout en reconnaissant la noblesse de leur combat, le réalisateur n'est pas dupe. Les résistants croient à chaque fois pouvoir renverser tout le système et, à chaque fois, se plantent. La scène post-générique le montre bien : c'est un éternel cercle sans fin dans lequel semble s'embourber toutes ces associations qui ont peu de poids dans le système
. A ce stade, le pessimisme semble être total. Sommes-nous donc écrasés et impuissants ? Bong Joon-ho donne une solution :
celle de Mija et d'Okja qui vivent, ensemble, à l'écart du monde, non sans avoir payé le prix de leur liberté.
Sur un sujet somme tout assez casse-gueule, le réalisateur coréen signe un authentique chef-d'oeuvre. Un film qui nous impressionne moins par ses qualités esthétiques (Bong Joon-ho est visuellement un cinéaste génialement classique contrairement a d'autres metteur-en-scène coréens comme Park Chan-wook ou Kim Ki-duk) que par son confondante et sidérante justesse de ton. Comme on dit en musique, Bong Joon-ho a indéniablement trouvé la note juste, entre farce burlesque, film à grand spectacle et terrible charge contre une certaine société.Avec sa fin clairement favorable à la vie solitaire dans les bois, loin des affaires humaines, peut-on y voir un éloge des robinsonnades ? A vous de juger, tout en prenant énormément de plaisir avec ''Okja'', d'un des meilleurs réalisateurs du moment. Le meilleur ? Peut-être...