Chouf est le dernier volet de la trilogie marseillaise réalisée par Karim Dridi. C'est avec le premier opus, Bye-Bye, en 1995, que le cinéaste a pu découvrir la ville cinématographiquement. Il réalisa douze ans après Khamsa qui lui a permis de rencontrer des enfants gitans et des adolescents des quartiers nord. C'est parce que cette expérience était si forte qu'il a voulu revenir à Marseille tourner Chouf.
Dans un souci de documentation, Karim Dridi a déménagé à Marseille pour renouer le contact avec des jeunes des quartiers défavorisés qu'il avait connus au moment du tournage de Khamsa. Il a ainsi pu observer sur le terrain comment fonctionnent les réseaux de drogue, du haut au bas de l’échelle. "Pour être toléré dans ces quartiers, je n’ai pas été voir la police, parce que la police n’aurait rien pu faire pour moi, donc je me suis fait accepter par certaines personnes qui m’ont toléré sur leur territoire. Sans ça on ne peut pas faire un film comme Chouf", se souvient le cinéaste.
Karim Dridi a engagé des comédiens non-professionnels. Pendant deux ans, il a animé des ateliers de comédie avec des jeunes des quartiers tout en écrivant avec eux le scénario. Le metteur en scène explique : "Pour le rôle de Sofiane, le héros, j’ai vu 1000 gars, mais il est finalement incarné par un jeune d’origine marseillaise, comédien du Conservatoire, Sofian Khammes. Cela dit, il ne s’agissait pas d’aller vers un film naturaliste où on montre des gens de quartiers pour ce qu’ils sont. L’idée, c’était de les amener ailleurs, dans la planète cinéma, dans un film. Sinon j’aurais fait un documentaire."
A l'origine, Karim Dridi voulait appeler le film "Caïds", puis le producteur lui a Rachid Bouchareb lui a soufflé l’idée de Chouf, idée à laquelle il a adhéré. Chouf signifie « regarde » en arabe et veut aussi dire « celui qui regarde, celui qui épie », donc « le guetteur, la vigie, la sentinelle ».
Karim Dridi a situé les lieux des meurtres du film parmi les plus beaux sites de Marseille et ses hauteurs. Il justifie ce choix : "Je suis méditerranéen, j’aime le soleil. Pour Chouf, j’ai naturellement pensé à la tragédie antique. Il y a un côté hellénique et grandiose dans les décors, afin que les rebondissements puissants de la tragédie antique puissent s’accomplir. Le décor du film ne pouvait pas se situer uniquement au coeur du béton des quartiers."
Il y a un rap de la chanteuse Casey dans le générique du début du film qui s’intitule : "Quartier maître". Il s'agit d'une entrée en matière sans ambiguïté mais Karim Dridi n'a pas voulu que la BO du film soit entièrement composée de rap. "La bande originale du film composée par Chkrrr s’éloigne de la musique urbaine, au profit d’une mélodie volontairement lyrique, donc cinématographique, pour soutenir la trame tragique du film. Une musique qui a du souffle, du corps, presque un requiem."
C'est pour parler du déterminisme social que Karim Dridi a fait ce film. Le réalisateur confie : "La plupart de ces jeunes n’ont jamais eu la possibilité d’étudier, d’avoir des vacances, des parents qui ont eu ou pris du temps pour eux, bref une vie normale de petits Français moyens. Ces jeunes sont nés dans un milieu dont il est très compliqué de se sortir, même quand certains accèdent à une éducation scolaire plus poussée. Mon héros est un jeune Français d’origine maghrébine, doué à l’école, qui a eu la chance d’avoir des parents qui se sont occupés de lui, et qui fait des études supérieures de commerce, mais qui est né dans un quartier qu’on dit « difficile ». Dès qu’il rentre chez lui, il est ramené à sa condition, et il devient presqu’impossible pour lui de s’en extraire, de résister à la fatalité qu’elle implique."