Loïe Fuller est une danseuse américaine ayant apporté sa petite révolution durant la Belle Epoque, hypnotisant Paris de ses chorégraphies virevoltantes et devenant par la même occasion une pionnière de la danse moderne. Sa particularité : tournoyer sur elle-même vêtue de plusieurs mètres de soie blanche en utilisant des projecteurs à électricité pour créer différents motifs via ses danses raffinées. L'artiste a été la muse du tout Paris, inspirant Toulouse-Lautrec ou Rodin avant de finir son existence oubliée de tous : "Loïe Fuller était l’une des danseuses les mieux payées au monde. Mais, bien qu’elle soit parvenue à réunir autour d’elle intellectuels et public populaire, beaucoup d’universitaires ne la considèrent pas comme une danseuse parce qu’elle n’a pas transmis son savoir", relate Stéphanie Di Giusto. La danseuse a enterrée au cimetière du Père Lachaise à Paris, à 100 mètres de sa grande rivale, Isadora Duncan (Lily-Rose Depp) : "Sa tombe est enfouie dans la végétation quand celle d’Isadora est magnifiquement entretenue. L’injustice perdure", s'indigne la réalisatrice.
Stéphanie Di Giusto met en scène son premier long-métrage avec La Danseuse : "Le cinéma me passionne depuis longtemps mais il me semblait impossible d’atteindre le niveau des réalisateurs que j’admirais. Ma rencontre avec Loïe m’a, en quelque sorte, désinhibée. Le combat de cette fille de fermiers du Grand Ouest américain pour s’imposer comme artiste m’en a donné le courage", indique la réalisatrice.
La Danseuse a été sélectionné dans la section Un Certain Regard du dernier Festival de Cannes où il a été très remarqué.
La réalisatrice Stéphanie Di Giusto nous raconte la naissance du projet La Danseuse : "Tout est parti d’une photo noir et blanc représentant une danseuse cachée dans un tourbillon de voile, en lévitation au-dessus du sol, avec une légende, au bas du cliché : « Loïe Fuller : l’icône de la Belle Epoque ». J’ai voulu savoir quelle femme se cachait derrière ces métrages de tissu et son histoire m’a bouleversée. J’aimais l’idée qu’elle soit devenue célèbre en se dissimulant ; son côté précurseur. Avec sa « Danse Serpentine », Loïe Fuller a littéralement révolutionné les arts scéniques à la fin du XIXe siècle. Et pourtant, personne ou
presque ne se souvient d’elle."
Les spectacles de Loïe Fuller demandaient une grande précision et une connaissance pointue en maths, chimie ainsi qu'un sens aigu de la scène. Par exemple, la robe utilisée par l'artiste nécessitait 350 mètres de soie pour sa confection : "Dès la première représentation de sa « Danse Serpentine » aux Etats-Unis, dans sa pauvre robe de coton, Loïe a conscience qu’il lui faut se donner les moyens de l’alléger et de lui donner de l’ampleur, et sait aussi que les simples effets de lumière ne lui suffisent pas. Loïe Fuller s’est nourrie de tous les ouvrages qu’elle trouvait et de tous les gens qu’elle rencontrait, Edison, Flammarion l’astronome. Elle a étudié l’éclairage, maitrise parfaitement tous les dispositifs scéniques – d’où son exigence de faire appel à 25 techniciens - et a même inventé les sels phosphorescents qu’elle appliquait sur ses costumes en montant son propre laboratoire de chimie. Elle est vraiment à la base de l’abstraction et du spectacle multimédias. Lorsqu’elle se produit aux Folies Bergères, elle est quasiment devenue une chef d’entreprise", explique Stéphanie Di Giusto.
Lily-Rose Depp, fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis, incarne Isadora Duncan, jeune dansesuse surdouée grande rivale de Loïe Fuller : "Isadora Duncan incarne tout ce qu’elle ne peut pas être : la jeunesse, le génie et la grâce. C’est elle la danseuse. Il lui suffit d’apparaître quand Loïe doit s’entraîner durant des heures et user de mille artifices. Cette forme d’injustice m’intéressait : on est tous confrontés à ses limites un jour ou l’autre", relate Stéphanie Di Giusto. "Je ne la connaissais pas et suis allée aux Etats-Unis pour la rencontrer et lui faire passer des essais. Dès la première scène, j’ai compris que j’avais affaire à une star. Elle m’a bluffée. Lily-Rose, qui n’a que 16 ans, n’a peur de rien, et est incroyablement à l’aise dans son corps. Alors que Soko a dû s’entrainer durant des semaines, elle, a tout de suite collé au personnage. Toujours cette histoire d’injustice", ajoute la réalisatrice.
Ecrire La Danseuse n'a pas été de tout repos pour Stéphanie Di Giusto. Trois ans de travail ont été nécessaires afin de terminer le script. La cinéaste a été épaulée par Sarah Thibau et Thomas Bidegain pour finaliser le travail sur le scénario et y apporter un côté "épuré". La réalisatrice a également lu beaucoup de livres sur Loïe Fuller et a notamment rencontré Jody Sperling, la danseuse qui pratique le mieux l'art de Fuller actuellement.
Loïe Fuller a toujours refusé de faire filmer ses spectacles, même par son ami Thomas Edison : "Il est hors de question qu’on m’enferme dans une boite", assénait-elle à l'époque. Stéphanie Di Giusto a donc fait appel à Jody Sperling pour la chorégraphie des danses ainsi qu'à de nombreux techniciens pour recréer l'ambiance lumineuse propre aux spectacles de la danseuse.
Stéphanie Di Giusto a pris des libertés par rapport à la véritable histoire de Loïe Fuller. Elle a notamment inventé un père français pour La Danseuse afin de justifier le fait que Soko parle français sans accent américain dans le film : "J’ai donc fait du père un fortyniner, un de ces pionniers français venus au Nevada pour trouver de l’or. J’aimais aussi l’idée que Loïe doive échapper à quelque chose de violent en quittant les Etats-Unis : j’ai rendu le rapport qu’elle entretient avec sa mère beaucoup plus dur qu’il ne l’était en réalité en faisant de la mère un membre des Mothers, un mouvement anti-alcool qui est également le premier mouvement féministe américain", explique la réalisatrice. Cette dernière a également inventé le personnage de Louis, campé par Gaspard Ulliel : "J’avais besoin d’une présence masculine dans ce film peuplé de femmes. Loïe Fuller était homosexuelle et il était important pour moi de ne pas en faire le sujet du film. Louis Dorsay me touche beaucoup : c’est l’homme sacrifié du film", ajoute la cinéaste.
Soko s'est entraîne 6 heures par jour durant 1 mois avec la chorégraphe Jody Sperling afin de se forger un corps robuste et musclé : "Le plus difficile pour elle était de tenir en équilibre et de danser à 2,50 mètres du sol, tout cela dans le noir. Soko est quelqu’un qui se donne à 100% : elle a un formidable appétit d’apprendre et s’est totalement investie dans cette préparation. Au bout des 4 semaines, elle était
prête", raconte Stéphanie Di Giusto. La comédienne n'a utilisé aucune doublure pour ses scènes de danse.
La dernière danse du film, la "danse des miroirs", a été tournée à l'Opéra de Paris durant une seule nuit, entre 2 heures et 8 heures du matin.
Stéphanie Di Giusto s'est inspiré de la boxe pour filmer les scènes de danse de Soko : "Je n’ai pas filmé une danseuse, j’ai filmé une boxeuse. Même la manière dont elle s’écroule sur son siège à la fin d’une représentation vient de la boxe", indique la réalisatrice.
Stéphanie Di Giusto a fait appel au directeur de la photographie Benoît Debie, reconnu pour son travail sur les films de Gaspar Noé (Irréversible, Love). Il a également officié chez Harmony Korine (Spring Breakers) et Ryan Gosling (Lost River) : "Benoît a beaucoup contribué à donner son caractère pictural au film. Il est le seul à avoir cette approche. Je savais, pour avoir vu son travail sur Love, de Gaspar Noé, que c’était lui qu’il me fallait. Chance formidable, il a adoré le scénario et a accepté de s’engager sur le film", s'enthousiasme la cinéaste.