En 2006 sortait Quand j’étais chanteur, petit bijou où brillait un Gérard Depardieu reconverti en chanteur de variétés sur le déclin. Dix ans plus tard et pour son second long-métrage, le réalisateur Bavo Defurne en propose une variante des plus délicieuses où c’est Isabelle Huppert qui, cette fois, incarne une chanteuse à succès tombée dans l’oubli depuis des décennies puis subitement ramenée sous le feu des projecteurs. La grande qualité de Souvenir est détenue dans son titre-même : le passé douloureux sert de base dramatique à un édifice qui mime, par sa structure, le mouvement mécanique de deux machines. La première machine, c’est le travail à l’usine, rythmé par ses rituels, ses mouvements répétitifs au son d’une sirène qui indique l’heure de déjeuner puis la fin de la journée. Defurne n’hésite pas à appuyer l’incessante routine de nos protagonistes en réitérant de façon quasi similaire leurs gestes et leurs postures mis sur le même plan que les barquettes de pâté soigneusement décorées. À cette première machine succède une deuxième dont les rouages reproduisent ceux subis des années plus tôt, les rouages de la célébrité d’abord fragile, vite confirmée sur la scène de l’Eurovision. Le pâté a cédé sa place à la chanson, avec, dans les deux cas, la répétition ad nauseam d’une partition faite de sons et d’attitudes figées. Le show business ne vaut donc guère mieux que l’usine agroalimentaire. Pire, il éloigne les amants qui avaient su unir leur désillusion et fonder quelque chose, écrire le premier jet d’une histoire dont la beauté aurait dû imprégner les textes de la chanteuse. Or, elle l’a fait, un peu dirons-nous. « Joli garçon » en témoigne. Et avec cette chanson naît l’espoir d’une réunion, espoir qui se verra comblé, enfin. Souvenir brosse le magnifique portrait de deux amants que l’âge et les rêves étaient censés repousser, mais que l’amour et la foi en l’autre lient pourtant. Il suffit de voir le personnage de Liliane quitter sa chambre d’hôpital et gagner le couloir tel un spectre sorti des entrailles des programmes télévisuels – elle est son ombre, à savoir Laura – pour saisir la puissance dramatique voire tragique de ce couple destiné à s’aimer contre vents et marées. Pour l’incarner, deux acteurs impeccables, à commencer par Kevin Azaïs qui sert ici au réalisateur de corps porteur d’un érotisme diffus. « Seul vit l'amour / Où vit l'envie ».