"Le Cirque" est, certainement, le moins connu des long-métrages mettant en scène Charlot. Ce déficit de notoriété s’explique sans doute par le fait que Charlie Chaplin lui-même détestait le film (qui lui rappelait les déboires qu’il a connu lors du tournage). Pourtant, il s’agit, à mon sens, d’un de ses meilleurs films (avec "le Kid" et "Le Dictateur") et, en tout état de cause, de l’interprétation la plus caractéristique du personnage de Charlot sur grand écran. Il faut dire que, pour une fois, le scénario ne traite pas d’un sujet fort venant transcender la drôlerie ambiante ("Le Kid" évoquait les conditions de vie misérables des pauvres et les services sociaux, "La ruée vers l’or" la dureté de la vie des chercheurs d’or, "Les temps modernes" le chômage et les dérives de l’industrialisation, "Le Dictateur " le Nazisme…), ce qui, certes, ne l’a pas aidé à rester ancré dans les mémoires mais qui, paradoxalement, lui permet de se concentrer que la rythme comique et offre à son héros, un écrin de tout premier ordre. En effet, "Le Cirque" est une petite merveille de drôlerie, composée d’une succession de gags chorégraphiées au millimètre près et qui surprennent par leur pouvoir comique, même près d’un siècle plus tard ! Les soucis de Charlot avec l’âne qui lui court après, son passage dans la cage aux lions, ses soucis avec la police, sa maladresse sur la piste qui provoque l’hilarité ou encore son numéro d’équilibriste sont autant de gags simples mais diablement efficaces, menés tambour battant. La star touche ici la quintessence même de son art puisque sa prestation n’a jamais été aussi physique et drôle (les films suivants seront un peu plus mécaniques sur le plan des gags). Comme toujours, Chaplin sait doser ses effets et insuffle à son film une émotion appréciable, à travers le coup de cœur de Charlot pour une jeune écuyère (Merna Kennedy) qui s’avère être la fille maltraitée du directeur du cirque (Allan Garcia, détestable). Certes, il s’agit presque d’un passage obligé dans les premiers longs-métrages de Chaplin mais, ici, le final proposé est tout simplement magnifique
(Charlot se sacrifie au profit d’un autre homme, aimé de sa belle, pour finalement reprendre sa route, seul)
. Enfin, les numéros proposés et plus, généralement, la description de l’univers du cirque est une vraie réussite, puisque Chaplin a eu l’intelligence de lui rendre hommage sans, pour autant, l’idéaliser. Il dresse, ainsi, un portrait assez dur (et peu forcément si commun à l’époque) du traitement des artistes par les patrons… à tel point qu’il est difficile de ne pas faire le parallèle avec le parcours de Chaplin lui-même. Sous ses airs naïfs, Charlot réclame un statut (notamment) à la hauteur de son talent… soit une considération étonnement matérialiste pour un film censé s’adresser à un jeune public. En cela, "Le Cirque" est peut-être le premier film où Chaplin entend faire valoir ses convictions (même si elles restent, ici, assez centrées sur lui-même). Rien que pour ça, il ne mérite pas l’oubli dans lequel l’Histoire du 7e art l’a plongé. A redécouvrir, donc !