Avec les séries « Fargo » et « Legion », Noah Hawley a de quoi négocier un bon virage vers le long-métrage. Son premier essai bute cependant sur une transaction à sens unique et qui a sans doute dénaturé l’envol de son sujet. Et au-delà de cet obstacle, il est encore possible de se laisser surprendre, de se laisser entraîner dans l’ultime poussée d’un technicien aguerri et qui prône les émotions dans ses récits les plus intimes. Sur ce plan, il y parvient avec une justesse remarquable, car c’est sans doute dans le scénario et son rythme que ça coince. Le retour d’une vétérane est souvent souligné pour explorer les décalages entre ce voyage qui nous a changés et la banale routine d’une vie de famille. L’inspiration évoque vaguement le parcours de l’astronaute Lisa Nowak, fraîchement revenu de la mission de ravitaillement STS-121 pour la Station Spatiale Internationale (ISS). De ce postulat, on en tire les enjeux des hommes, comme des femmes qui ont décidé de construire l’avenir vers les étoiles.
Pourtant, il n’est pas question de ce regard en avant, mais bien celui à l’opposé. L’immersion est travaillée d’entrée, afin que l’on accompagne Lucy Cola (Natalie Portman), qui semble avoir le mal de la gravité. Son obsession pour le vide, la vision d’un « autre monde », c’est un retour impossible à la vie terrestre. Tout lui semble plus petit, mais le ressenti n’est pas immédiat. Le rythme joue sur cette perspective, d’abord discrète, puis l’orage se déchaîne jusqu’à ce qu’elle perde le contrôle de tout. À la maison, la notion de confort n’est plus ce qu’elle pense être et au travail, c’est l’ambiguïté. L’envie de s’envoler de nouveau lui rend des automatismes dont il faut encadrer avec plus de discernement. On s’attarde ainsi sur le statut psychologique de ces héros, ces volontaires qui sacrifie tant de choses, qu’ils en oublient les raisons de leur venue et le véritable carburant qui les a menés jusque dans les étoiles. Dans le cas de Lucy, c’est plus poussé. Mais l’exercice artistique possède sans doute ses limites à force de répéter les mêmes procédés de bout en bout.
La rupture de ton avec ce qui la relie à la réalité et son caractère compétitif est sans doute le principal facteur d’un dysfonctionnement, scénaristiquement parlant. C’est pourquoi l’œuvre ne mise que sur le visionnage en apesanteur afin de transmettre l’intensité d’un voyage énigmatique et renoue avec l’extraordinaire. La partition de Jeff Russo assure également l’ascenseur émotionnel qui oscille entre l’étrange et le grandiose. À travers les yeux de l’astronaute, on y découvre une richesse, mais non-palpable avec nos référentiels, non-palpables avec des sentiments. Elle les refoule donc avec une certaine contradiction que l’on suit dans u triangle amoureux avec son collègue Mark Goodwin (Jon Hamm). Parallèlement, les péripéties s’enchaînent avec fluidité, notamment avec sa rebelle de fille, miroir de son âme, mais si distante de sa réalité. L’œuvre ne cherche pourtant pas à nous déboussoler plus qu’il n’en faut, car même s’il faut attendre le dénouement pour connaître les limites d’une obsession, elle saura comment libérer son héroïne de son mal-être.
Plus qu’une référence au fameux tube des Beatles, « Lucy In The Sky » se démarque par sa maîtrise du cadre, cohérent avec cette chute, cette descente aux enfers, qui se résume à l’obsession de la grandeur chez l’héroïne. Et peut-être que le concept reste difficilement inaccessible, mais il faudra reconnaître une certaine splendeur dans ce mélodrame, techniquement immersif et particulièrement intime. L’expérience prévaut sur ce qui se trouve à la surface du récit et il faudra donc accepter d’être déstabilisé pour en capter les nuances et se laisser séduire par cette fable introspective.