Pour donner corps à Tête baissée, Kamen Kalev s'est inspiré d'une histoire vraie, celle d'un étranger qui s’était abrité dans un bidonville de tziganes. L'homme cherchait à fuir la mafia et voulait raconter son histoire à quelqu'un dans le but de dénoncer le réseau pour ensuite bénéficier du programme de protection des témoins. Ainsi, il aurait récupéré sa petite amie, une mineure prostituée envoyée en Autriche, ce qui n'a finalement pas été possible du fait qu'elle soit partie d'elle-même.
Le metteur en scène a ensuite rencontré cet homme désireux parler de cette expérience et qui a par la suite servi de base au personnage de Samy : "On s’est vus plusieurs fois, il m’a emmené sur les lieux, j’ai rencontré plein de gens du réseau. Par exemple, avec le coscénariste Emmanuel Courcol, nous avons rencontré la maquerelle qui a inspiré Snezana dans le film. Nous nous étions présentés comme des clients qui voulaient acheter une fille. Elle vendait sa soeur à vie au prix de 1000 euros... Pendant un an, il y a donc eu une longue période de documentation sur le sujet, j’ai écrit les premières pages et commencé à structurer l’histoire", se souvient Kamen Kalev.
Acteur ayant collaboré avec des cinéastes aussi différents que Raoul Ruiz, les Wachowski ou Xavier Dolan, Melvil Poupaud incarne Samy, ce Français plongé dans la mafia bulgare du proxénétisme. Au départ proposé par le producteur Jean Labadie, Kamen Kalev trouvait qu'il ne correspondait pas au personnage qu'il imaginait particulièrement viril. Finalement, le cinéaste a décidé d'utiliser ce côté "homme fragile", "contrastant avec le monde viril, cruel, lourd, des réseaux de prostitution" pour servir le film.
Le titre, Tête baissée, renvoie à deux choses : d'abord au personnage de Samy et aux jeunes filles avec cette idée du regard baissé renvoyant à l'humilité quand on fait quelque chose de compromettant. Et ensuite à l'image du taureau fonçant sans se poser de questions.
C'est la première fois que Kamen Kalev travaille avec un coscénariste. Il a ainsi rencontré Emmanuel Courcol sur un festival où ce dernier présentait Welcome porté par Vincent Lindon et sur lequel il avait travaillé : "On l’a contacté pour ce projet et il a bien aimé l’idée de départ. Il est venu en Bulgarie, où nous avons travaillé une dizaine de jours sur la structure du film. Par la suite, on a fonctionné autrement, j’écrivais les différentes versions du scénario et lui me donnait ses commentaires", se souvient Kalev.
Kamen Kalev a demandé à son acteur principal Melvil Poupaud de visionner certains films avant le tournage, lesquels ont ainsi servi de références. Il y avait La Vie Nouvelle de Philippe Grandrieux, Conte de la folie ordinaire de Marco Ferreri, Fish Tank d’Andrea Arnold ou encore César doit mourir des frères Taviani.
La plupart des acteurs et actrices du film (90 % d'entre eux pour être précis) n'avaient jamais joué dans un film et ont été recrutés le long d'un vaste casting sauvage en Bulgarie. C'est le cas de Seher Nebieva, qui incarne le personnage d'Elka, et pour lequel plus de 1000 filles ont été auditionnées ! "Seher a une vie qui n’est pas très éloignée de celle d’Elka ; elle connaissait ce milieu, elle avait vécu des choses difficiles dans son passé et elle comprenait très facilement le scénario et le personnage", se remémore le réalisateur, en poursuivant : "On a cherché un peu partout dans le pays. À chaque fois, c’était des moments très différents, des histoires particulières. Celle qui joue Snezana, par exemple, est caissière dans un supermarché. L’homme qui incarne Uhoto, le méchant, on l’a rencontré dans un mariage tzigane. On a fait beaucoup de mariages ! Ce sont des moments de grand rassemblement, très favorables pour des castings sauvages."
La grande idée du film était de se centrer sur le point de vue du personnage principal Samy de manière réaliste. C'est cette logique qui a déterminé les choix esthétiques concernant les focales, le cadre et la lumière. Kamen Kalev explique : "Il fallait que ça devienne de plus en plus frénétique, étroit. Nous ne voulions pas d’objectifs anamorphiques, qui donnent un arrière-plan un peu plus féerique et joli. On voulait garder cette vision crue, réaliste. Julian était très présent lors de la mise en place des scènes. On savait qu’on ne pouvait pas trop miser sur une longue préparation de découpage, notamment quand il y avait des scènes avec plusieurs non-professionnels. Il fallait être léger, souple. Il y avait deux caméras presque en permanence"
De par plusieurs aspects, à savoir le fait de tourner avec des non-professionnels et dans les lieux de l’histoire, Tête baissée comporte une visée documentaire revendiquée par le cinéaste : "On s’est efforcés d’être convaincants du point de vue du réalisme à travers la musique, les habits. J’ai l’impression que dans le cinéma européen, et plus encore dans celui des Balkans (turc, roumain, bulgare), on est plus forts dans cette façon de raconter les histoires, qui consiste à partir de la réalité pour ensuite casser le réalisme et atteindre une dimension poétique."
Comme dans son précédent film Eastern Plays, Kamen Kalev dépeint une société bulgare mal en point, gangrenée par la corruption, la pauvreté et des groupes ethniques laissés à l'abandon à l'image des tziganes. Même s'il ne voit pas Tête baissée comme reflétant la totalité de la société bulgare, le metteur en scène a voulu, via son film, souligner les dysfonctionnements du pays.