Kasi Lemmons n’est sans doute pas la plus connue, mais elle a su faire la fierté d’une communauté afro-américaine au cinéma, le temps d’une comédie musicale et un biopic sur l’animateur de radio et de télévision “Petey” Greene. A présent, elle remonte le temps, avec une histoire loin d’être anecdotique, au détriment d’une oeuvre qui perd justement du prestige du fait de ses approximations historiques. Harriet Tubman (Cynthia Erivo) est devenue une icône de l’abolition de l’esclavage durant la fameuse grande guerre civile. Ayant fui le fouet ou plutôt pour se rapprocher de la liberté, cette femme défend des valeurs religieuses qui ont purgé bien des âmes, mais il y a toujours un risque en prenant un parti aussi radical. Ce film constitue donc un bel hommage, à ne pas prendre au sérieux dans le sens où il s’inspire davantage d’un mythe, ayant pris le dessus sur la personne.
Pas étonnant qu’un tel sujet finissent indirectement entre les mains d’Hollywood, mais c’est une manière de détrôner l’homme de son statut de guerrier, car il n’emporte aucune victoire concrète. Harriet se fond ainsi dans un décor épuré et finit par se pavaner au rythme des chants, démarche que les esclaves disposaient afin de communiquer. Terence Blanchard est à signaler à la baguette, lui qui a longtemps suivi Spike Lee, ce qui donne une belle ambiance, parfois décalée mais qui donne des indices sur les réelles ambitions de cette réalisation. Le gospel fait également son apparition afin de styliser cette approche abstraite, car “Dieu” aura son mot à dire dans cette affaire, que l’on y croit ou non. Nous nous rapprochons des faits avec un élan narratif qui persiste à rendre l’héroïne divine à travers l’image qu’elle véhicule, tout le monde désirait devenir comme elle, libérée des chaînes, libérée des hommes. On revendique clairement l’indépendance par le biais du courage, mais il y a pourtant un vide qui plane sur la libération des esclaves. Outre l’interprétation des signes, à aucun moment le film ne prend un réel recul sur cette fatalité, on l’évoque juste, sans empiéter sur le personnage.
En regardant au-delà du symbole d’abolitionniste, nous pouvons cependant trouver une certaine satisfaction. La traque par son ancien maître n’a rien d’exceptionnel en soi, mais ce sont les conséquences qui créent des situations intéressantes. Nous retraçons peu à peu les initiatives des esclavagistes afin d’opprimer une communauté noire qui cherche refuge, même plus loin dans le nord. Mais Harriet trouvera plus d’alliés pour contrer cela, notamment grâce à l’Underground Railroad, compagnie de transport supervisé par ceux qui croient encore à un monde libre. Toute l’œuvre est basée sur cette sainte terre qui est difficile à dénicher. La seule différence avec les plantations, c’est justement la pression du fléau cherchant à avoir le contrôle sur la vie. Dès lors qu’il n’a plus d'emprise, qu’il est pourvu d’une arme émoussée, il y a de l’espoir à transmettre à ceux qui ont la force de croire en cette liberté qu’on a fini par briser.
C’est pourquoi il ne faut pas confondre les inspirations de ce film aux véritables faits. Ceci résonne davantage comme une fable respectueuse et symbolique, de quoi lui donner un petit peu de grandeur à l’approche des nouvelles réimpressions des billets de 20 dollars, car “Harriet” sera à l’honneur. Tout l’enjeu n’est donc pas de valider si elle en a sauvé des centaines ou non, mais simplement de constater qu’une femme a eu l’audace de tenir tête. C’est cette mentalité qui doit justement sortir d’une œuvre qui expose ses propos sans aller se risquer dans une mise en scène étincelante, mais qui comprend comment sensibiliser le spectateur. C’est également l’occasion de redorer le blason de cette héroïne dont on saura peu de choses à son sujet, si ce n’est la bonne foi et la bonne influence.