Nabil Ayouch a déclaré avoir toujours été interpelé par le rôle des prostituées dans la société marocaine. Il souligne que, dans certaines sociétés, elles servent de catalyseur à une frustration : "Les habitudes, la contrainte et l’hypocrisie sociales font que, lorsqu’on est en situation d’aimer, on nous refuse l’espace nécessaire pour apprendre. Car aimer s’apprend, c’est un sentiment qui doit être encouragé, pas contredit. (...) La femme se retrouve alors considérée comme un ventre, une personne qui est là pour s’occuper des hommes et élever des enfants, mais pas comme une compagne."
Nabil Ayouch a raconté comment il était entré dans le monde des prostituées pour préparer Much Loved. Contrairement à ce qu'il attendait, elles n'étaient pas réticentes à lui parler. Il en a rencontré entre deux cents et trois cents : "Elles m’ont raconté leur vie, leur solitude, leurs blessures, comment elles en étaient arrivées là. Et aussi la manière dont elles se voyaient elles, avec évidemment une perte d’amour propre terrible... Ces filles sont des guerrières, des amazones des temps modernes."
Au lieu de réaliser un documentaire, Nabil Ayouch a préféré faire une fiction, car il avait "sa propre histoire à raconter, c'est-à-dire son lien avec ces femmes. (...) Je voulais m’approcher le plus possible d’une forme de naturalisme qui donne à voir ce qu’est réellement la vie de ces femmes, mais le film est une vraie fiction, que j’assume comme telle, avec des partis pris, notamment en termes de réalisation, d’image, de montage". Pour cela, il a privilégié les longues séquences, et a tourné avec deux caméras, dont l'une "devait tout le temps rester au plus près des personnages."
Le réalisateur a insisté sur le fait qu'il ne considérait pas Much Loved comme un film sur la prostitution, mais plutôt comme le portrait de quatre femmes. "J’ai aussi essayé d’aller chercher en moi ma part de féminité pour raconter cette histoire, je voulais que ce soit un film « de femme ». (...) D’où aussi le désir de travailler avec une équipe très féminine : la directrice de la photo, la première assistante, ma compagne avec qui nous avons fait les recherches et travaillé le texte… J’avais besoin d’être plein de leur énergie pour faire ce film", a-t-il expliqué.
Nabil Ayouch ne cherche pas à imposer un point de vue dans son film, mais seulement montrer la réalité : "Je ne veux en aucun cas être moralisateur, condamner, exercer un jugement de valeur, précise-t-il, je cherche simplement à dire. Lever le voile sur cette économie, c’est mettre chacun face à ses responsabilités, à ce qu’il refuse de voir."
Les actrices ne sont pas des professionnelles, mais elles habitaient dans des quartiers proches des milieux de la prostitution. Le réalisateur les a incitées à improviser sur le tournage : "Je leur disais où j’avais envie d’emmener la scène, ce qu’elle racontait et je les laissais proposer beaucoup de choses, notamment en termes de dialogues. (...) Elles ont accepté de se livrer, de se déshabiller et de me montrer leur âme, « sans maquillage », comme elles disent."
Pour Nabil Ayouch, Marrakech est un personnage à part entière, à la fois détesté et aimé par les prostituées.
Much Loved peut être noir et parfois cruel, mais, selon Nabil Ayouch, l'émotion vient de l'humanité des personnages. Les prostituées sont des personnages tragiques, parce qu'elles sont conscientes de leur rôle de catalyseur des frustrations de la société, "alors qu'en retour, elle ne reçoivent que mépris, jugement et humiliation", souligne-t-il. Cependant, elles ne sont pas des victimes : "L’idée n’était pas de tomber dans le pathétique, le tragique ou le misérabilisme. Ces femmes ne sont ni blâmables, ni formidables, ce sont des femmes, maitresses de leur destin et que l’on doit regarder comme telles."
Nabil Ayouch a demandé quelque chose de spécial aux compositeurs de la musique originale, menés par Mike Kourtzer : "Allez, entrez dans ces femmes et sortez quelque chose qui vient d’elles, de leurs tripes, qui ne prenne pas trop de place mais en même temps exprime la douceur et le rythme de leur cœur."
Ces femmes représentent un paradoxe du monde arabe : en dépit des inégalités entre les hommes et les femmes, elles restent maîtresses du foyer et dominent les hommes dans ce cadre spécifique : "Dans Much loved, j’avais envie de cette anthropologie inversée – Saïd, leur protecteur, servant, conducteur, en est le reflet palpable. Ce sont elles qui gouvernent les hommes. Elles peuvent choisir un soir de ne pas sortir, de dire non malgré vingt-cinq appels d’hommes aux abois. Elles sont toujours habitées par ce sentiment de liberté."
Au début novembre 2015, l'actrice Loubna Abidar a affirmé avoir été violemment agressée à Casablanca, au Maroc. Elle avait auparavant déjà reçu menaces de mort au Maroc de la part d’extrémistes. "Much Loved" a été interdit au Maroc et a notamment pour incitation à la prostitution.
Nabil Ayouch a expliqué les différents titres qu'il a donnés à son film : "Le titre original est "ZIn li fik", qui signifie « la beauté qui est en toi », et qui renvoie à l’intériorité, belle à voir et belle à entendre, que j’ai découverte chez ces prostituées. Quant au titre international, Much loved, je l’ai trouvé à la toute fin, quand j’ai compris ce qu’étaient véritablement leur vie et la manière intime dont je la percevais. Much loved, c’est à la fois être trop et mal aimé. Il y a aussi la notion d’usure – on utilise cette expression pour parler d’un doudou qu’on a chéri et qui à force d’avoir été serré et mâchouillé a été abimé…"
Après la diffusion d'un premier extrait sur Internet, Much Loved et son équipe ont été la cible de condamnations particulièrement violentes. D'après Libération, Nabil Ayouch ne sort plus sans protection policière et l'actrice principale, Loubna Abidar, a reçu des menaces de mort après la diffusion de son adresse sur la Toile.
Much Loved a finalement été censuré au Maroc, car, selon le gouvernement, "il comporte un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l'image du royaume". Nabil Ayouch a réagi : "Je m'attendais à ce qu'il y ait un débat autour d'une problématique réelle qui touche des familles entières et autour de la femme dans la société marocaine, mais pas à une telle dureté", confiait-il au Figaro. Il a même défié l'interdit en le projetant en juin 2015, devant des étudiants de Rabat, à l'occasion d'une conférence sur la liberté d'expression.
Le film est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2015.