Le documentaire Allende, mon grand-père de Marcia Tambutti Allende fut sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2015. Il sortit vainqueur d'un Oeil d'or, section nouvellement créée et concentrée sur les documentaires en compétition cannoise.
"Un portrait du grand-père de la réalisatrice chilienne avec un point de vue intérieur et une sensibilité à fleur de pellicule". C'est en ces termes qu'Edouard Waintrop, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, décrivit Allende, mon grand-père.
Salvador Allende a marqué l'Histoire du Chili et celle de son peuple tout entier, bien qu'il n'ait finalement été président du pays qu'entre 1970 et 1973. Ouvrant la voie à une révolution tranquille (c'est à dire menée dans le respect de la loi), sa présidence se vit brutalement interrompue par le coup d'état du 11 septembre 1973, mené par Augusto Pinochet, qui entraina le suicide du dirigeant socialiste et celui d'une de ses filles, Beatriz. Marcia Tambutti Allende, sa petite-fille devenue biologiste, prend le risque avec ce documentaire de briser 40 ans de silence au sein de sa famille, mutique vis-à-vis de cette figure majeure du Chili.
Allende, mon grand-père est le premier documentaire de Marcia Tambutti Allende. Il ne s'agit pourtant pas de la première oeuvre consacrée au président déchu, ombre planant régulièrement sur les filmographies d'importantes cinéastes chiliens. Patricio Guzmán, fasciné par les exactions commises par le régime d'Augusto Pinochet, a condensé dans Salvador Allende le parcours de l'homme et du leader politique. Héros fragiles d'Emilio Pacull radiographait de nouveau les années 70 à travers la figure d'un des collaborateurs d'Allende. Plus fictionnel, Post Mortem confrontait un égoutier avec l'autopsie de l'ex-président, juste après sa mort en septembre 1973.
Hortensia Bussi fut la femme de Salvador Allende de 1940 à sa mort en 1973, année du coup d'état organisé par Augusto Pinochet. Contrainte de fuir le pays pour se réfugier au Mexique, elle ne put revenir dans son Chili natal qu'en 1990, après 17 ans d'exil. C'est afin de lui rendre hommage que sa petite-fille, Marcia Tambutti Allende, choisit de briser le silence familial en réalisant un documentaire sur ses racines. Malheureusement, Bussi mourut avant que le film ne fut fini, en 2009, à l'âge de 94 ans.
Marcia Tambutti Allende naquit au Mexique, alors que sa famille subissait encore un exil forcé sous la menace d'Augusto Pinochet. Acceptée de nouveau au début des années 90, elle resta au Mexique pour finir ses études de biologie tout en rendant visite une fois par an à sa famille. L'idée de conduire un documentaire sur son grand-père, Salvador Allende, apparu en 2005 mais ne prit forme que pour le centième anniversaire de sa naissance, en 2008. Elle quitta sa vie de biologiste au Mexique pour consacrer son temps à la fabrication de l'oeuvre, particulièrement après avoir réalisé combien seule sa famille pourrait avoir accès à des témoignages directs sur cette figure publique à l'intimité tenue secrète.
Au départ, Marcia Tambutti Allende lut de nombreux ouvrages sur son grand-père, Salvador Allende. Mais ceux-ci étaient fortement construits selon un regard socio-politique. Elle comprit qu'il lui faudrait axer son documentaire sur sa famille afin d'atteindre une émotion plus universelle et parler de l'état de son pays. Pour cela, elle n'hésita pas à demander à des membres proches de la famille quelques anecdotes, particulièrement lorsque cette dernière restait prostrée dans le silence. Une fois les confessions en poche, elle retourna voir ses proches afin de leur transmettre les informations qu'elle venait d'obtenir, les incitant à la confession.
Lorsqu'Augusto Pinochet renversa Salvador Allende, il n'hésita pas à bombarder son palais de la Moneda, détruisant de nombreuses photos et documents exclusifs à la famille. Marcia Tambutti Allende dut donc demander de l'aide aux collaborateurs de son grand-père. Elle réalisa malgré tout que de nombreuses photos subsistaient dans les archives du pays, clichés souvent intimes et offrant de multiples facettes au personnage, de la plus joyeuse à la plus sérieuse.
L'équipe accompagnant Marcia Tambutti Allende fut réduit à un caméraman et à un preneur de son. Toutefois, la petite-fille de l'ex-président du Chili expliqua avoir eu quelques difficultés à se libérer de la présence de la caméra, tout comme sa famille. Sa grand-mère en particulier entretint le silence pendant un long moment, jusqu'à ce que sa famille comprit l'idée poursuivie par la documentariste.
Pour Marcia Tambutti Allende, son documentaire contient également un axe politique. Selon elle, c'est toute sa famille qui dut se sacrifier pour servir au maximum les idéaux politiques de Salvador Allende, vivant dans les milieux défavorisés, travaillant sans relâche sur les dossiers en cours. En concentrant son regard sur les femmes de la famille, elle souhaitait aussi parler de leur rôle en politique, face souvent cachée de cette grande sphère.