C'est une histoire qui s'est réellement passée dans la bande de Gaza qui a inspiré la toile de fond de "Dégradé", le premier long métrage des deux jeunes frères jumeaux, Arab et Tarzan Nasser : en 2007, une famille de Gaza, influente et armée, avait volé le lion du zoo afin de pouvoir l'exhiber et montrer ainsi sa puissance et son insoumission face aux autorités ; le Hamas avait riposté par l'opération militaire « Libérez le lion » et l'histoire s'était terminée dans le sang.
Arab et Tarzan Nasser ont donc imaginé qu'une douzaine de femmes s'étaient retrouvées coincées une journée entière dans un salon de coiffure, durant cette opération qui se déroulait dans le quartier. Des femmes très différentes entre elles, puisqu'on trouve aussi bien Eftikhar, une femme divorcée qui ne supporte pas ce que les années qui passent font subir à sa beauté, que Salma, qui est venue, accompagnée par sa mère Wafaa et sa future belle-mère Sameeha, se faire coiffer pour son mariage. Il y a aussi Christine, la patronne, une immigrée russe arrivée il y a 12 ans, sa fille Natalie, une jeune femme libérée et sur le point de divorcer, et Wedad, son assistante, amoureuse d'un jeune membre de la famille qui a volé le lion. Il y a Zeinab, une femme voilée, accompagnée de Safia, une bavarde impénitente et dont tout porte à croire qu'elle se drogue. Et puis Fatima, une femme sur le point d'accoucher et une autre qui a du mal à respirer.
Au milieu des bruits d'explosions et de coups de feu qui viennent de dehors, tout ce petit monde, ce Gaza féminin en miniature, passe de longs moments accroché au téléphone ou alors évoque entre elles les difficultés de leurs existences, parle du Fatah, du Hamas et d'Israël, s'emporte contre les checkpoints (ceux du Hamas, ceux du Fatah, ceux d'Israël) sans omettre de confronter leur point de vue sur la religion. Le meilleur moment du film est peut-être celui où leurs réflexions les amènent à rêver d'un pays gouverné par les femmes, chaque femme dans le salon se voyant attribué un poste de ministre. Le plus drôle lorsque, à la suite d'une coupure de l'électricité, un générateur est utilisé avec ce choix terrible : va-t-on l'utiliser pour fournir l'éclairage, pour faire fonctionner le ventilateur ou pour faire fonctionner le séchoir à cheveux ? Toutefois, lorsque la bataille se rapproche, ce sont la peur et la colère qui prennent le dessus.
Par rapport aux autres films palestiniens qui arrivent sur nos écrans, "Dégradé" présente la particularité d'occulter partiellement le conflit avec Israël pour critiquer, souvent avec humour, les autorités palestiniennes et leurs conflits internes. Bien évidemment, l'enfermement dans le salon de coiffure évoque la situation d'enfermement que vivent les gazaouis depuis des dizaines d'années et le titre du film, "Dégradé" est à la fois un terme de coiffure et un qualificatif qui dépeint malheureusement l'état dans lequel se trouve la bande de Gaza.
On aura compris que "dégradé" est un film choral. Au contraire de certains films choraux dans lesquels le réalisateur prend soin de "présenter" rapidement et de façon précise l'ensemble des participants, "Dégradé" le fait de façon assez brouillonne : c'est là que réside le défaut principal du film, basé par ailleurs sur une idée très intéressante.
Parmi les interprètes du film, une comédienne connue : Hiam Abbass. Quant aux réalisateurs, déjà plus ou moins rejetés par les autorités de Gaza du fait de leur look, de leur conception personnelle de l'Islam et de leurs court-métrages précédents, ils ont dû aller tourner en Jordanie cette production française, palestinien et qatarienne. L'avant-première mondiale de "dégradé" a eu lieu à Cannes, en mai 2015, dans le cadre de la Semaine Internationale de la Critique.