L’idée du film est venue à Joachim Lafosse lors d’une rencontre avec la scénariste Mazarine Pingeot et d’une envie réciproque de filmer un couple. Tous les deux avaient en effet le désir de montrer les émotions, très fortes, qui sous-tendent les conflits conjugaux et dont l’argent est très souvent le symptôme. Le cinéaste développe :
"Mazarine a l’habitude d’écrire en binôme avec une autre scénariste, Fanny Burdino. Je travaillais de mon côté avec Thomas van Zuylen. Elles faisaient une version et nous l’envoyaient. Nous la retravaillions et la leur renvoyions. Et ainsi jusqu’à la préparation du film. À partir de là, je n’ai plus travaillé qu’avec Thomas et les comédiens. En ce qui me concerne, l’écriture n’est vraiment terminée qu’une fois le film tourné. Pour être juste, il faut chercher et essayer en permanence ; et, surtout, réussir à se débarrasser des idées pour permettre l’incarnation. L’écriture doit aussi appartenir aux acteurs pour qu’ils puissent s’emparer du jeu avec justesse et le film ne serait pas ce qu’il est sans leur apport."
Décidément, le cinéaste belge Joachim Lafosse aime les histoires de couples en danger… En 2012, il nous offrait le très remarqué A perdre la raison avec Tahar Rahim et Emilie Dequenne, inspiré de la terrible affaire Geneviève Lhermitte, dans lequel une femme oppressée par sa situation familiale finissait par assassiner ses enfants et tentait de se suicider.
A l’origine, lorsque le projet en était encore à ses débuts en mai 2015, un certain Roschdy Zem était pressenti pour camper le conjoint de Bérénice Béjo. Il céda finalement sa place à Cédric Kahn.
Dans le film, Boris (Cédric Kahn) n’a pas les moyens de se reloger et le couple est ainsi obligé de continuer à cohabiter ensemble. Pour le cinéaste, il s’agit d’une réalité économique bien dans l’air du temps : "Le coût des loyers dans les grandes villes est devenu tel qu’énormément de gens mettent du temps à se séparer parce qu’ils ne parviennent pas à se reloger chacun de leur côté. Autrefois, on restait ensemble pour des raisons morales ; aujourd’hui, on le fait pour des raisons financières. Cela dit quelque chose sur notre époque…"
Pour se préparer au tournage, Joachim Lafosse a demandé aux comédiens de visionner un film en particulier, Qui a peur de Virginia Woolf ?, de Mike Nichols. Le réalisateur explique : "Je leur ai dit : « Nous sommes dans un lieu unique qui nous oblige à trouver le cinéma. Mon rêve serait que vous soyez aussi libres que ce que Mike Nichols a réussi à faire avec Elizabeth Taylor et Richard Burton ». Ce film est pour moi une référence magnifique."
Pour trouver les deux petites filles Jade et Margaux, la directrice de casting a vu une cinquantaine d’enfants, dont l’une des jumelles. Le cinéaste se rappelle : "Quand je l’ai vue arriver, j’ai aussitôt demandé à sa mère si sa soeur voudrait jouer aussi. Je ne leur ai pas fait passer d’essais. Pour moi, il était évident que des jumelles seraient formidables, qu’elles allaient d’abord jouer ensemble puis avec Bérénice et Cédric. Il s’est avéré qu’elles avaient l’une et l’autre un énorme talent. Il m’est arrivé d’enchaîner quarante ou cinquante prises avec elles. Elles ont suivi : de vraies petites pros."
La maison constitue un personnage à part entière du film mais aussi la preuve tangible de ce qui a été désiré auparavant pour le couple et qui ne l’est plus. Pour concevoir ce décor, Joachim Lafosse a fait appel à Olivier Radot, le chef décorateur avec qui il avait travaillé sur son précédent film Les Chevaliers blancs. Les deux hommes ont cherché à faire en sorte que ce décor puisse représenter l’amour entre les deux personnages principaux qui se vit difficilement dans le film.
Joachim Lafosse a utilisé une Stab-One, une caméra souple idéale pour filmer en intérieurs. Il s’agit d’un nouvel appareil difficile à utiliser mais qui permet plus de mouvements dans des configurations de plateaux exiguës. Alejandro González Iñárritu l’a d’ailleurs employée pour ses deux derniers films, Birdman et The Revenant, en se servant de courtes focales.
Même si les disputes étaient productives, les rapports entre Joachim Lafosse et Cédric Kahn (lui-même metteur en scène) étaient souvent virulentes comme s’en souvient Bérénice Béjo : "Le tournage était encore plus difficile pour lui que pour moi : je restais calée sur mon travail de préparation. Lui continuait de défendre de nouvelles idées et cela déclenchait parfois des discussions animées entre Joachim et lui. Comme nous étions tous les deux impliqués dans la mise en scène, il m’est arrivé d’avoir peur que le metteur en scène prenne le pas sur l’acteur. C’était parfois tendu."
Le film a été projeté à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes 2016. Le réalisateur Joachim Lafosse est un habitué du festival puisque A perdre la raison y avait été projeté en 2012, et avait permis à l’actrice Emilie Dequenne de remporter le prix d'interprétation féminine dans la catégorie Un certain regard.