JE COMPTE SUR VOUS, qui devait initialement s'appeler Merci pour votre collaboration, est le second long-métrage de Pascal Elbé, après l'émouvant Tête de Turc en 2009. Il en signe également le scénario avec la collaboration de Isaac Sharry. Ce dernier est d'ailleurs à l'origine du projet et producteur du film. Le sujet est librement inspiré de faits réels, à savoir les fameuses "arnaques au faux Président" faites par Gilbert Chikli il y a une dizaine d'années. Dénommé Gilbert Pérez dans le film, Pascal Elbé a renoncé à l'incarner car il souhaitait se concentrer sur son travail de réalisateur, et c'est finalement Vincent Elbaz qui s'y est collé.
Alors, que penser de ce film annoncé comme une comédie dramatique sur fond de thriller ? Notre avis est mitigé pour la première partie de JE COMPTE SUR VOUS, assez ennuyeuse qui consiste, un peu à la manière d'un documentaire, à décrire le mécanisme et les ressorts de l'arnaque, dont la première victime est Céline/Anne Charrier. Pascal Elbé pose bien le contexte et les opportunités du milieu des années 2000 et nous démontre l'ingéniosité dont fait preuve Gilbert en utilisant les numéros de téléphone passerelles depuis Tel Aviv et en appelant des personnes en France ayant des responsabilités dans les banques, mais ne parvient pas à nous tenir en haleine.
Savoir que cette arnaque a vraiment fonctionné ne semble pas avoir joué sur le regard que porte le réalisateur sur ces victimes, qu'il ne rend ni attachantes, ni sympathiques, au contraire. Nous regrettons de ne pas savoir de quelle manière elles ont été choisies en amont, mais nous supposons que c'est en raison de leur vulnérabilité dans leur vie personnelle et d'un manque de reconnaissance professionnelle de la part de leur hiérarchie. Gilbert débarque dans leur vie, à laquelle il donne de l'importance, les culpabilise d'avoir accepté d'ouvrir le compte bancaire d'un terroriste, et fait appel à leur sens citoyen en acceptant une mission de haute importance portant, rien que ça, sur la sécurité du territoire. Il crée la confiance, les harcèle au téléphone, souffle le chaud et le froid, les conditionne, les manipule et leur retourne quasiment le cerveau. Les dialogues, ciselés à souhait, souligne la tchatche incroyable de Gilbert. Il est aidé par son petit frère Maxime - interprété par le Youtubeur Ludovik, dont c'est le premier rôle au cinéma - et JMBLC/Dan Herzberg. .
Cette utilisation de matière de faits réels pour écrire un scénario portant à l'écran la vie de voleurs et bandits n'est pas nouvelle : depuis Bonnie and Clyde de Arthur Penn en passant par Sans arme, ni haine, ni violence de Jean-Paul Rouve jusqu'à plus récemment La French de Cédric Jimenez. La tentation est forte de prendre fait et cause pour les personnages, avec un risque de les rendre trop sympathiques, voire de comprendre et d'excuser leurs actes, auquel se rajoute pour JE COMPTE SUR VOUS celui de faire polémique en raison de la proximité des faits et de la mise en exergue par scénaristes et réalisateur d'un personnage assez peu recommandable. Refusant l'appellation d'escroc et de criminel, il a en effet été condamné cette année par contumace à sept ans de prison, est sous mandat d'arrêt international et s'est enfui en Israël.
Nous vous rassurons sur ce point : à aucun moment nous n'avons éprouvé d'empathie pour ce personnage certes pourvu d'un talent certain et d'un culot monstre, mais si imbu de lui-même, n'ayant que mépris pour ses victimes, mentant sans vergogne à ses proches qu'il aime pourtant, son épouse Barbara/Julie Gayet et son fils Noé/Léo Elbé, et les mettant même en danger.
C'est dans la seconde partie que JE COMPTE SUR VOUS devient vraiment intéressant et que la mise en scène du réalisateur, plus dynamique, dessine le portrait sans concession d'un homme dont les fêlures commencent à apparaître dès le dérèglement du système. Ayant les yeux plus grands que le ventre, Gilbert va passer dans la cour des grands en travaillant avec les frères Bezanski, qui blanchissent l'argent escroqué. Il prendra dès lors plus de risques dans cette escroquerie à grande échelle dont il ne sera plus le maître, harcelé par ses "employeurs", pourchassé par la Commissaire de police Moretti/Zabou Breitman (toujours très juste) n'écoutant évidemment pas les conseils de son frère plus raisonnable. Joueur invétéré, sans limites, conscient de son pouvoir sur les gens et de son intelligence, de sa capacité incroyable d'adaptation, bravache, nous le verrons pourtant douter, perdre pied, s'énerver, mais toujours se relever, car l'homme a de la ressource.
image du film JE COMPTE SUR VOUS Rézo Film Tout en rendant son personnage plus attachant à ce moment du film, Pascal Elbé a eu la sagesse d'en rester à bonne distance et de dresser une sorte de profil psychologique type de cet arnaqueur-fraudeur. Deux scènes fondamentales de son enfance nous feront comprendre le petit garçon qu'il était, à l'origine de l'homme qu'il est devenu. Sans pour autant excuser son comportement d'enfant gâté, frustré et orgueilleux, avec un ego surdimensionné encouragé par sa mère/Nicole Calfan , que ses fils appellent "la patronne". Cette relation mère-fils aurait d'ailleurs méritée d'être creusée, pas juste posée dans le scénario.
Nous n'avons pas été très convaincus par les prestations à contre-emploi et manquant de consistance de Julie Gayet et d'Anne Charrier. Cette dernière nous avait pourtant bluffé par son interprétation de Véra dans Maison Close. C'est finalement l'interprétation sur le fil par Vincent Elbaz de cet homme manipulateur jusqu'au-boutiste et accro à l'adrénaline, et celle de son sparing-partner, Ludovik, surprenant de sobriété, qui permettent aux spectateurs de passer un bon moment avec JE COMPTE SUR VOUS.
Critique par Sylvie-Noëlle, sur le blog du Cinéma