Comme quoi des fois il faut attendre jusqu'à la fin de l'année pour se prendre une des plus grosse claque de celle-ci. Quand j'ai vu la BA en salle de ce film j'ai direct pris rendez-vous à sa sortie, ça annonçait du lourd avec ce noir et blanc classieux, cette intrigue d'une quête mystique, chamanique, scientifique, la confrontation des cultures avec la démesure d'un Herzog et bah le film était à la hauteur de mes attentes et bien plus. Alors on a deux intrigues liées par la narration et qui ne cessent de se faire écho dans la structure avec des similitudes, des dissemblances, un effet de miroir. Je m'attendais toutefois à que ce soit beaucoup plus étroitement lié, qu'on retrouve des personnages mais non. Disons que ça permet au film de créé une sorte de déconstruction temporelle, on ne sait pas vraiment quand ça se passe : dans le temps sans temps. On ne comprend pas bien le rapport de causalité entre les deux, il se pourrait bien qu'il soit inversé par moments. Mais les deux intrigues sont passionnantes, l'indien ayant évolué on a une sorte d'inversion des âges, un vieux avec un jeune, un jeune avec un vieux, tout ça sur l'apprentissage. Ce qui est superbe c'est qu'on a pas d'avis trop manichéen sur la question sachant que le scénario est inspiré des seuls écrits concernant les tribus de cette époque. On a donc des personnages humains, en conflits de culture, les deux tenant un discours "raciste", les blancs sont cons ou les indiens sont le diable. Même si au fond on montre bien que c'est la religion catholique qui a emporté le combat, c'est elle qui a réussi à s'imposer, à enseigner sa pensée, sa culture, son savoir, alors qu'au fond les indiens le voulaient aussi. Bref, tout ça est très subtilement amené. On nous montre aussi la folie pure qu'était la religion de cette époque à travers une histoire se déroulant sur les deux époques et permettant ainsi de construire un discours, de voir la situation évoluer et les deux séquences sont vraiment très gênantes, avec une violence toute particulière qui s'en dégage, d'abord très crue et ensuite cauchemardesque, beaucoup plus folle, orgiaque et dionysiaque, plus abstraite en un sens, un peu comme une illustration de l'enfer, c'est viscéral. On a plein de scènes marquantes comme ça, comme celle où un indien doit tuer un estropier pour avoir ravagé son caoutchouc. Je dirais que s'il y a une chose qui m'a dérangé dans le film c'est qu'il assez verbeux et très attaché à une intrigue, avec des enjeux très définis, et j'aurais préféré quelque chose de plus expérimental, contemplatif, a-narratif. Parce qu'ainsi on a pas mal de scènes où on doit se "coltiner" le discours typique du blanc occidental qui ne comprend rien parce qu'enfermer dans sa pensée cartésienne et scientifique, qui n'arrive pas à voir le divin, à écouter la nature lui parler, Dieu lui chanter à l'oreille. Et on l'a déjà entendu et vu des dizaines de fois. De fait j'y viens. Les 5 dernières minutes sont à tomber à la renverse, c'est une expérience cinématographique incroyable, d'une grande force. On a une véritable expérience chamanique. J'avais déjà beaucoup aimé la manière dont il filme la nature à échelle d'homme, on a ce choix du noir et blanc qui vient tranché avec l'image très imprégnée dans l'imaginaire collective des feuillages verdoyant d'Amazonie, avec des plans magnifiques de la pirogue ou mieux : de la comète. Et puis quand il rentre en transe on voit enfin le plan du film que j'attendais, le plan aérien qui ouvre la BA, mais là on a cette musique incroyable, très étrange, angoissante mais en même temps très calme. Puis des plans zénithaux où l'on ne sait pas bien si on est dans le macrocosme ou le microcosme, si c'est un plan général ou un gros plan titanesque, une sensation qui ferait pâlir Malick. Et puis j'ai commencé à volé, à sentir mon corps flotté devant ces images et cette musique, déjà que le film avait son rythme et se montrait très hypnotique et que j'adore ça, ici il atteint son paroxysme. On comprend enfin pourquoi l'Anaconda, tout devient évident, tout ce qui était brumeux à nos yeux d'occidentaux, on arrive enfin à comprendre tout ce que voulait dire l'indien. Et on passe à la couleur avec ces motifs, on les comprends aussi, tout devient évident, c'est ineffable, mais c'est évident, tout est montré, rien n'est démontré. Je m'attendais à ce que le film se termine là même si j'aurais aimé que la scène dure 20-30 minutes. Ca m'a pas mal fait pensé aux passages les plus abstraits du Garçon et le Monde au niveau des couleurs et des ambiances. Je crois qu'il a très bien retranscrit ce que devait être un état de transe, parce que justement il s'est abstenu de représenté ce dont tout le monde parle habituellement (femmes magnifique, tremblement de terre), il l'a suggéré et du coup on a eu l'impression d'être en transe nous même, c'était ça de montrer et de ne pas démontrer. On ne nous explique pas ce que c'est on nous le fait vivre. Et puis j'étais déçu que le film reparte ainsi l'air de rien, mais je m'étais trompé parce que c'est sans compté sur le plan final. Tout est dit. Le plan auquel il fait écho était déjà magnifique, mais là avec toute la charge du film sur ses épaules, il est tout simplement démentiel. Indéniablement un des meilleurs film de l'année, je regrette simplement qu'on arrive tardivement dans le purement contemplatif, le film parle beaucoup, alors c'est toujours captivant et intéressant mais quand on a cette fin difficile de ne pas regretté d'avoir eu tout un film comme ça.