On connaissait le facétieux Peter Greenaway en génial irrévérencieux, il confirme, après l’épouvantable ratage de « La ronde de nuit », son travers irrespectueux, de traiter en toute fatuité, des épisodes de la vie de grands maîtres, hier Rembrandt, aujourd’hui Eisenstein, les malmenant, les transformant en une espèce de personnages saugrenus et borderline, ravagés par l’idée du tout sexuel pour mieux les mettre à nu, à savoir les désincarner de leur aura d’artistes de génie.
Dès les premières minutes le ton est donné, le spectateur est submergé par un brouillement graphique composé de plans vertigineux, d’incrustations en split screen, d’une luxuriance de couleurs et d’une hystérie presque collective, à un point tel que la nausée est proche. Et pour mieux falsifier la vérité détournée, Greenaway nous présente les protagonistes de ce récit allumé en les encadrant de photos réelles, de prises de vues des films de « La grève », du « Cuirassés de Potemkine », de documents d’archive... Cette désinvolture filmique est un choix, Greenaway essaie de nous cueillir dès le début, nous assénant un « vous allez voir ce que vous allez voir », tout sauf rassurant. La toute première partie du film est proche d’un montage à la Abel Gance, volonté sans doute de souligner combien ce dernier fut avec Eisenstein, justement, l’un des maîtres en la matière. Mais ici le découpage et la logorrhée visuelle sont pour la moins approximatifs, puisque sans contenu signifiant.
Au final que restera t-il de ces fameux 10 jours qui ont bouleversé la vie d’Eisenstein ? Replaçons un peu le contexte. Nous sommes en 1931, Eisenstein, est devenu en trois films, glorifiant la révolution russe (« La grève » en 1924, « Le cuirassé de Potemkine » en 1925, et « Octobre » en 1927), une véritable icône et le meilleur artisan de la propagande pro URSS pour Staline. Dès 1930 il voyage en Europe, puis aux Etats Unis, dispensant, au nom du pouvoir soviétique, son savoir faire et souhaite rencontrer ses illustres collègues, Chaplin notamment. C’est d’ailleurs lui qui « le missionnera » pour tourner un film sur la récente révolution au Mexique, qui deviendra l’œuvre maudite « Que viva Mexico » dont Eisenstein a perdu la maitrise avant le montage. Episode artistique qui ébranlera sa manière d’appréhender ses films par la suite. C’est donc sur cet épisode que focalise Greenaway avec « « Que viva Eisenstein ». Mais plutôt que de nous montrer un tournage que l’on a décrit comme déraisonnable (on ne voit aucune scène de celui-ci), ou encore d’arborer les difficultés et la pression subies par l’artiste dans ce climat qui n’était pas encore à la guerre froide mais en avait tous les aspects. Plutôt que de s’intéresser au cinéaste de génie, certes perturbé, en être d’exception, Greenaway transforme Eisenstein en être futile, dilettante, dont la seule obsession sera de faire confirmer son homosexualité en la vivant pleinement, la plupart des scènes étant réservées à l’alcôve. De Mexico, pas une image, pas une reconstitution, juste un habillage de studio teinté d’un esprit post colonialiste (des ersatz de Zapatta dans un coin de décor). Le contraste entre l’habileté, l’inventivité technique et la vacance du scénario devient alors saisissante. Une absence de scénario appuyée par des acteurs peu inspirés, en sur jeu permanent et caricaturaux. Et de se dire que Peter Greeanway se rapproche de plus en plus de ce qu’en pense ses détracteurs, il est un cinéaste faussaire, un illusionniste qui, a force de tourner, et de ne pas se renouveler, nous ressert les même vieux tours qui n’ont plus de prestigieux que ce qu’il en faisait par la passé.
Un peu de modestie est souvent salvateur au cinéma. En début d’année, « Le scandale Paradjanov » est sorti en toute discrétion. Avec peu de moyens, beaucoup de sensibilité et de passion pour cet autre cinéaste russe, l’acteur réalisateur Serge Avédikian a réussi le pari difficile de relater avec flamboyance l’œuvre et l’intimité de pensée de Paradjanov, c’est sans doute l’humilité et l’admiration qui le guidaient. Contrairement à Greenaway, il n’a pas eu l’orgueil de croire qu’il pouvait être égal, ou même dépasser le maître !
J’attendais beaucoup de « Que viva Eisenstein », au final je suis sorti de là groggy et disons le passablement énervé !