« Tant pis pour le rouge, je passe. »
Il s’agit de la première phrase du film et c’est la seule qui sera prononcée durant près de 7 minutes, dans une scène de départ en train où l’on suit le commissaire Mattei (André Bourvil, le nom complet crédité au générique est d’importance) au bras duquel est menotté Vogel (Gian Maria Volonte). Dès ces premières minutes, on devine toute la palette visuelle et technique de Jean-Pierre Melville : jeu d’ombres dans la voiture qui amène les deux personnages à la gare, jeu de lumière sur les parois des wagons, travelling arrière aérien sur le train qui démarre, silence des deux acteurs dont les gestes lents et machinaux ainsi que les mimiques presque imperceptibles donnent le ton du réalisme.
Il faut ainsi attendre la seconde scène, mettant aux prises un gardien de prison et le détenu Corey (Alain Delon), pour, après un lent travelling avant et un cadrage décentré, qu’apparaisse un vrai dialogue. Les deux scènes en intérieur sombre donnent le ton et sont suivies des deux histoires en parallèle, la traque du fugitif et le retour à la vie civile du détenu, en longues scènes alternées, aux dialogues rares ou couverts par les bruits. La musique vient parfois relever l’action.
Enfin, après une quarantaine de minutes, l’histoire proprement dite peut commencer, comme si ce début était un résumé des épisodes précédents, dévoilant deux nouveaux personnages : le patron de boîte Santi (François Périer) et l’ex-flic Jansen (Yves Montand, exceptionnel). Le couple Vogel/Corey est interprété avec une rare précision par Volonte et Delon, comme une sorte de rédemption humaine dans un océan de noirceur.
A rebours du cinéma français traditionnel où les dialogues sont essentiels, Melville ne réalise pas du théâtre filmé, il fait du cinéma, racontant une histoire en mouvements, et c’est à travers ceux-ci et les images que se découvre la psychologie des personnages, sombres mais aussi attachants. Certaines scènes (celle du casse notamment, interminable, angoissante et d’anthologie) sont d’ailleurs dignes du cinéma muet. Ainsi, à travers le climat de ce Cercle Rouge et quelques-unes des scènes, on comprend pourquoi et comment Melville a pu influencer toute la génération des Hollywood Brats et, plus près de nous encore, les réalisateurs·trices qui s’en sont inspiré·es à leur tour.
Notons enfin la cohérence de l’ensemble et la vraisemblance jusque dans le plus petit détail, ce qui accroît encore le réalisme de ce chef d’oeuvre.