Après un "REC 4" que l'on préfère tous oublier, le nom de Jaume Balagueró avait disparu des écrans-radars depuis 2014. L'un des papes qui avait signé le renouveau du cinéma d'épouvante ibérique semblait s'être mis en pause, peut-être conscient que le mouvement qui l'avait fait connaître arrivait lui aussi à la fin d'un cycle.
Alors, en 2017, quand a surgi son nouveau film "Muse" sorti d'un peu nulle part sur nos agendas-cinéma, on était plutôt impatient de découvrir ce que le maître espagnol avait à nous proposer depuis tout ce temps. Pas de bol, en France, le film ne sera distribué que dans trois salles parisiennes, le condamnant presque à l'avance à l'anonymat et à une réputation pas vraiment flatteuse. Aujourd'hui, sa sortie DVD/Blu-Ray heureusement plus promue nous permet enfin de voir si Jaume Balagueró est toujours à la hauteur de sa réputation avec cette adaptation du best-seller "La Dame numéro 13" de José Carlos Somoza.
Un an après un terrible drame, un professeur de lettres au chômage fait sans cesse le même rêve mettant en scène un meurtre au cours d'un étrange rituel. Un jour, à la télévision, il voit un reportage sur une femme assassinée correpondant trait pour trait à celle de ses cauchemars...
Déjà, bonne nouvelle, bien loin des secousses sanguinolentes de la saga "REC", Balagueró nous revient avec un thriller posé où le surnaturel a une place prépondérante, un peu dans la lignée de "La Secte sans nom" qui a fait son succès et, avouons-le, on est plutôt heureux de le retrouver dans ce registre vu la capacité du bonhomme a nous emporter dans une ambiance d'étrangeté dès les premières minutes de "Muse".
D'ailleurs, tout aussi bien au niveau visuel que sur le fond, le film nous promène sur des terres balagueroénnes bien connues, l'action a beau se dérouler en terre irlandaise (et donc en langue anglaise), le cadre amplifié par une photographie sombre comme l'arrière salle d'une entreprise de pompes funèbres ne change pas d'un iota de ses premiers longs-métrages situés en Espagne avec une atmosphère lugubre véhiculant son lot de rituels et apparitions étranges dans un monde pourtant bien réel. Certains diront que la capacité de renouvellement du réalisateur est désormais proche du néant, d'autres seront agréablement séduits par ce retour aux sources (et on fait plutôt partie de cette seconde catégorie).
Ensuite, il convient de distinguer deux choses : l'histoire passionnante au coeur de "Muse" et la manière catastrophique de nous la raconter.
Si on se fixe sur la première, "Muse" possède un sujet très intriguant avec l'insertion de figures mythiques dans notre réalité. Le potentiel de l'univers développé autour de ces "dames" est bel et bien là avec une réflexion sous-jacente intéressante sur le pouvoir des mots et de l'écriture. Leurs apparitions et leurs agissements fonctionnent aussi terriblement bien par leur richesse et aussi par leur faculté à faire monter le thermomètre de l'étrange vers des hauteurs on ne peut plus attractives.
Dans son ensemble, les buts recherchés par le récit sont plutôt bons et, même si le final est prévisible, il s'inscrit dans une logique métaphorique très poétique qui achève de nous convaincre que cette histoire avait toutes les cartes intelligentes en main pour réellement nous fasciner.
Alors comment pardonner à Jaume Balagueró de nous la raconter à la manière d'un très mauvais roman de gare ? Totalement incapable de s'extirper des pages du roman, le réalisateur s'embourbe dans toutes les grosses ficelles possibles qui ne peuvent absolument pas fonctionner à l'écran comme sur le papier. L'enquête se résume à un héros cultivé dépressif et une acolyte prostituée à problèmes (original, on se croirait dans un nouveau "Millenium") en train de passer d'une scène explicative à une autre dans des lieux différents grâce à des indices tombés du ciel (qui a encore des boîtes d'allumettes sur soi en 2017, sérieusement ?) ou des rencontres avec des gens qui en disent beaucoup trop sans aucune raison sinon de se mettre volontairement en danger (coucou Christopher Lloyd au passage !).
On est tout simplement sidéré par l'enchaînement incroyable de facilités par lequel passe "Muse" pour faire avancer son récit sans aucune subtilité et en en gâchant constamment tout son potentiel. Comme si le talent de conteur qu'on aimait tant chez Balagueró avait été annihilé par un manque d'inspiration flagrant (ce qui est un comble vu le sujet du film).
On ressort donc de "Muse" complètement partagé, ayant autant aimé ce que le film avait à nous raconter que détesté sa manière de le faire. Alors le film est loin d'être un désastre (c'est toujours mieux qu'un "REC 4") mais si Jaume Balagueró n'est plus capable de livrer un bon film avec une si bonne histoire en main, on va commencer sérieusement à s'inquiéter pour son avenir... à moins qu'une nouvelle muse vienne lui rendre visite, évidemment.