Pablo Aguero, le réalisateur d'Eva ne dort pas, est un cinéaste argentin né en 1977. Il met en scène avec Eva ne dort pas son 4ème long-métrage après Salamandra, 77 Doronship et Madres de los dioses.
Eva ne dort pas évoque un fait historique insolite, la manière dont le corps d'Eva Peron, grande femme politique argentine durant les années 40 et 50, a été au coeur d'enjeux politiques majeurs, bien après sa mort en 1952. Il faut savoir que sa dépouille a été embaumée en 1953, la laissant comme endormie. Après le renversement de son mari, le président Juan Peron en 1955, les militaires n'osent pas l'enterrer, de peur que sa tombe ne provoque une insurrection. En tant que catholiques, ils ne peuvent pas détruire le corps et choisissent de le confier en secret au Vatican. Le corps disparaît pendant des années avant d'être rapatrié en Argentine après le retour à la démocratie en 1973. Malheureusement un nouveau coup d'état éclate en 1976 et l'armée enterre Evita sous 6 mètres de béton. Dans les années 80, les différentes juntes militaires au pouvoir ensanglantent le pays et font disparaître la dépouille de celle qui a apporté le droit de vote aux femmes en 1947 : "Personne auparavant n’avait abordé la véritable histoire de son corps disparu. Et c’est l’une des histoires les plus incroyables et cinématographiques qui soit", raconte Pablo Aguero.
Le film a été tourné en seulement 20 jours à raison de 8h45 de tournage par jour dans un seul et même lieu avec des décors artificiels et en plan séquence : "Cette méthode particulière de tournage a produit une très belle tension au sein de l’équipe. Ça a été une aventure de création collective où chaque membre devait rester en alerte constante", confie Pablo Aguero.
Eva Peron a été au centre de nombreuses fictions, autant au cinéma qu'à la télévision. La plus célèbre évocation de la vie de la femme politique argentine est sûrement Evita d'Alan Parker (1996), avec Madonna dans le rôle principal. Dans Eva ne dort pas, c'est Sabrina Macchi qui lui prête ses traits. Cette dernière, incarnant Evita morte, a dû suivre un régime spécial et faire des exercices de yoga afin de se tenir parfaitement immobile : "Il y a une scène presque magique dans un aquarium, où elle a été contrainte de rester plusieurs heures dans l’eau froide et de contenir sa respiration tout au long d’un plan séquence. Ces exercices physiques sont venus en compléter d’autres plus « spirituels » destinés à produire sur son visage des expressions profondes et à essayer de capter, en un sens, l’esprit d’Eva", raconte Pablo Aguero.
Pour le réalisateur Pablo Aguero, Eva Peron n'a jamais eu autant de pouvoir morte que vivante, de par l'aura mystique et révolutionnaire qui émane d'elle : "C’est une femme qui, même morte et disparue, continue de vivre dans les idéaux de milliers de personnes qui l’ont adoptée comme une mère de l’insurrection. C’est le cauchemar vivant des militaires et des néolibéraux. Elle est l’oiseau Phénix qui revient éternellement pour nous rappeler que tant qu’il n’y a pas de justice sociale, il n’y aura pas de paix possible", explique le cinéaste.
Durant ses recherches pour la préparation du film, Pablo Aguero a notamment pu consulter des archives de la CIA, s'est entretenu avec d'anciens guerilleros et des historiens. Il révèle s'être rendu compte que tout le monde mentait et donnait sa propre version des faits en fonction de leurs intérêts personnels ou politiques. Il a donc décidé de liver lui-même sa propre interprétation de l'Histoire : "Je ne voulais pas tromper le spectateur avec une supposée reconstitution « objective ». Il était important pour moi de dire : « ceci n’est pas la vérité » mais « ma vérité ». Ma réponse esthétique à cette préoccupation éthique a été de filmer Eva ne dort pas comme s’il s’agissait d’un film fantastique, un thriller onirique", confie le metteur en scène.
Si Pablo Aguero a choisi Gael Garcia Bernal pour interpréter un dictateur afin que sa cruauté contraste avec sa beauté, il a également engagé un acteur français pour prêter ses traits à un militaire contestataire : "Denis Lavant est une allusion relativement anachronique aux militaires français qui introduisirent en Amérique Latine la doctrine de la « lutte antisubversive », de la torture et de la disparition de personnes. Mais c’est surtout le luxe de pouvoir travailler avec ce merveilleux « monstre d’acteur » de la race presque éteinte de Klaus Kinski", relate le cinéaste.
La musique de Eva ne dort pas a été composée par Valentin Portron et a nécessité un soin particulier avec notamment l'utilisation de la vraie voix d'Eva Peron, comme l'affirme Pablo Aguero : "Nous avons introduit des sons cachés, subliminaux, qui s’évanouissent à la limite du bruit et de la musique, entre la réalité et l’illusion. Nous avons utilisé le thérémine, l’instrument préféré des spirites, combiné avec un violoncelle et plusieurs guitares électriques. Nous avons également incorporé la voix d’Evita comme un instrument de plus. Nous l’avons remixée, déformée, étirée, dispersée tout au long du film. (...) Le summum de cette recherche a été la musique retentissant pendant les scènes de bataille urbaine de 1969. Nous avons donné aux guitares une certaine composante The Clash, nous avons fait « chanter » Evita. Une fois la voix placée sur la base musicale, nous avons découvert qu’Evita c’était du pur rock : une cadence rock, un enrouement rock, des discours incendiaires comparables aux meilleures paroles du rock".