[...] Le périple commence par la rencontre avec un curé. Entre bonnes gens, il est normal de s’entraider et c’est donc tout naturellement que Constandin répare l’homme de foi, en échange de quoi il recevra un enseignement catégorique : les juifs sont des animaux, les tziganes des hommes, certes, mais fait pour la soumission (la preuve ? « ils ont le visage tout noir »). Le curé les bénit, et reprend son chemin, fier d’avoir éclairé quelques bons samaritains. Il s’agit là d’une scène symptomatique d’Aferim! de Radu Jude : sombre, caustique, drôle aussi car il ne faut pas avoir peur d’en rire. Il faut d’ailleurs rire de ce racisme : c’est là toute la preuve de la désuétude de ce mode de langage.
Mais, si cet échange contient en gros le ton du film, c’est bien la seule pointe de bêtise dans le chef des personnages que l’on pourra trouver. En effet, durant tout le métrage, ceux-ci semblent porter toute la sagesse du monde, par un procédé tout à fait étrange, que l’on pourrait rapprocher de ce que fait Godard assez souvent : la citation. Aferim! par ce biais nous fait découvrir tout le pouvoir de la phrase, et plus encore du mot déplacé de son contexte. Nous sommes bien au début du XIXème siècle mais les personnages savent tout : ils savent qu’on (nous, les enfants du millénaire) les a oubliés, qu’on y pense plus, qu’on ne vit pas comme eux. La vie a changé.
Pourtant, il y a quelque chose d’intemporel dans cette campagne lumineuse, venant d’une part de la photographie — d’ailleurs très justement récompensée par le Bayard d’Or de la meilleure photographie — et d’autre part de la relation qu’entretiennent ce père et ce fils, puis de la dynamique triangulaire que viendra construire leur prisonnier.
Intemporalité, nous le disions, de l’image : le ciel est éternel, quand il est lumineux. Ça tombe bien : le noir et blanc d’Aferim! dégage une lumière, une joie pour ainsi dire, tout à fait détendue, sereine. Le temps n’a pas d’action, la nature est vierge, comme au premier jour malgré ces campements d’orpailleurs, grâce à cette douce chaleur : l’image, ici, coule de source. [...]
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