Il faut savoir que, dans sa jeunesse, Andrzej Zulawski a étudié la philosophie à l'Université de Varsovie; il s'est aussi affirmé comme un grand adepte de littérature, adaptant à l'occasion de ses films des livres de Christopher Frank, Dostoiëvsi ou encore Raphaëlle Billetdoux - et a lui-même écrit plusieurs romans, à côté de son travail de cinéaste (relevons La Chose de la Chair en 1981, La Forêt Forteresse en 1991, Comme un rien en 2004).
Ces deux caractéristiques (intérêt pour la philosophie, veine littéraire) se retrouvent à l'aune de La Fidélité; son dernier film à ce jour, et le quatrième qu'il a fait avec Sophie Marceau, son ancienne épouse (après L'amour braque; Mes nuits sont plus belles que vos jours et La Note bleue). On retrouve en effet dans La Fidélité plusieurs réminiscences de La Princesse de Clèves de Mme Lafayette; à travers le personnage d'une jeune femme (ici Clélia, photographe) épousant un mari de quinze ans son aîné (ici Clèves un éditeur de trente-cinq ans - "Je sais aimer les livres à défaut de les écrire"), et soumise à la tentation d'un amant (ici en la personne de Nemo, un photographe de reportages chocs, et amateur de sensations extrêmes - par exemple à travers des courses de moto dangereuses). Cet argument permet au cinéaste polonais d'affirmer une nouvelle fois son intérêt pour "les choses de la chair": naissance du désir, érotisme à fleur de peau, atteinte du septième ciel... Par ailleurs, l'évocation du milieu de la presse (avec un journal à gros titre canadien, "La Vérité") permet une interrogation sur le rapport à l'information, la société de l'image, le voyeurisme (d'où ici le motif récurrent du miroir au sein du film). Et il faut bien dire, au vu du film, que Zulawski devait avoir du fil à retordre avec ce milieu de la presse, tant l'image qui est en peinte ici est dépréciative: tout le monde y couche avec tout le monde; il n'y a aucune éthique ni morale dans le "travail" de ces journalistes mi-paparazzis mi-pornographes; ils n'ont aucun sens de l'honneur...
Ce qui frappe aussi à la vue de La Fidélité, c'est la multiplicité des tons, des styles. Entre une évocation de la presse à scandale, une reprise contemporaine de l'argument principal de La Princesse de Clèves, une exploration des mystères de la chair, une étude de société et une réflexion sur le métier de photographe, c'est la moindre des choses de dire que Zulawski fait ici le grand écart. Le film lorgne tantôt vers la comédie décalée par le biais de l'interprétation de Pascal Greggory en amoureux comiquement maladroit et bégayant à souhait (la scène où il aborde Clélia - "Je veux un tas d'enfants..." ainsi que celle où il lui fait une déclaration en pleine réception sont tout simplement hilarantes), tantôt vers le pur action movie (voir la scène de la mort de Mac Roi qui se prend une épée dans l'oeil; ou celle où Nemo tue tout le monde avec une arme à feu) ou encore la chronique familiale (relevons les émouvantes scènes dans lesquelles la mère de Clélia, jadis une grande vedette du music-hall, chuchote laborieusement des morceaux de paroles des Feuilles Mortes, du Temps des Cerises ou encore de Malbrough s'en va-t-en guerre)...
Il est indéniable que La Fidélité est un peu (trop) long (2h39), qu'il manque d'unité et se révèle trop hétérogène et peut-être trop ambitieux par un excès d'enjeux (peindre le milieu de la presse à scandale; raconter une nouvelle version de La Princesse de Clèves aujourd'hui; réunir cinéphiles exigeants par une veine délibérément expérimentale et grand public par des scènes d'action facilement insérées dans la dernière demi-heure du film) et une multiplicité assommante de styles (chronique familiale; érotique; expérimental; comédie décalée)...
Néanmoins ce manque d'unité n'enlève rien à l'intérêt qu'on peut légitimement porter à ce film. Son grand nombre d'ambitions, de styles et de registres différents fait aussi sa richesse. Tout en demeurant réticent à l'égard de l'ensemble du film; on peut être admiratif envers plusieurs scènes: celles où Clèves séduit Clélia puis lui fait sa déclaration d'amour en public; celles où la mère de Clélia se rappelle des chansons qu'elle chantait autrefois; la scène dans laquelle Clélia fait un reportage en photos d'un match de hockey sur glace...
En tout cas, même s'il n'éveille pas totalement mon enthousiasme, La Fidélité m'encourage fortement à découvrir d'autres films de cet artiste polonais: notamment L'Important c'est d'aimer avec Romy Schneider, ou encore Possession avec Isabelle Adjani.