Le documentariste de Robert Evans et des Rolling Stones, Brett Morgen a décidé de s’attaquer à un autre monument de la pop culture, Kurt Cobain. Son reportage Cobain : Montage of heck est le septième à être consacré à l’icône grunge des années 90 et sûrement le plus intimiste. Avec la participation de ses parents (et beaux-parents), de ses petites-amies et de ses amis proches, Morgen utilise des archives inédites aussi diverses que des dessins, des vidéos de famille et de la musique, pour un résultat saisissant et profond à la fois passionnant et voyeuriste. Cobain : Montage of heck est la première biographie cinématographique autorisée de Kurt Cobain. Ainsi Brett Morgen a eu accès à une profusion jamais égalée de documents confiés par sa famille et des proches. Prenant le contre-pied des documentaires précédents, Montage of heck éclipse quasiment la mort de Cobain, réduite à une épitaphe juste avant le générique, pour laisser se découvrir un Cobain moins obsédé par la mort que dégoûté par la vie. L’un des aspect les plus intéressant du documentaire tient sûrement dans la richesse des extraits choisis de son journal intime. Tourmenté par une enfance qu’il juge difficile mais somme toute banale pour un enfant de divorcé, Cobain devint surtout l’archétype d’une génération désabusée, celle qui allait être frappé en plein vol par la fin des trente glorieuses, une jeunesse désenchantée, dégoûtée par le monde cynique et cruel qu’on lui propose dont la famille de Cobain n’est qu’un épiphénomène. Victime d’un père machiste et bien dans ses bottes patriarcales, Cobain, l’enfant sensible allait finalement rentrer en rébellion ouverte à l’adolescence. Pour le reste, les confidences de son père, de sa mère et de sa belle-mère ne livre rien que de très banal et archétypale sur une famille recomposée de la classe moyenne. Les vidéos de famille où l’enfant brille par sa joie de vivre font toutefois la lumière sur des apparences trompeuses.
Féministe, gay-friendly, libertaire, révolté, Cobain trouva dans la scène underground de Seattle un échappatoire à un quotidien morose et un exutoire à un sentiment profond d’injustice. Avec Krist Novoselic, il va créé Nirvana et révolutionner le hard-rock. Véritables bêtes de scènes, les membres de Nirvana, donnant tout dans des shows survoltés verront, à la suite de la publication de Nevermind dont le clip du titre phare Smell Like Teen Spirit sera diffusé en boucle sur MTV, leurs carrières s’envoler littéralement. Multipliant les unes de magasines et les interview avec une désinvoltures non feintes, dans lequel Morgen nous replonge pour notre plus grand plaisir, Cobain et ses amis vont connaître les affres de la célébrité. Alors que l’homme Kurt Cobain aspire à une vie calme et à un foyer soudé, la presse à scandale, notamment Vanity Fair, va déverser sa bile infect entraînant chez lui un cercle vicieux déjà vicié par l’usage de drogues. Les charognards qui n’incarne que l’idée la plus bassement mercantile du journalisme vont avoir raison de l’artiste en se délectant de la déliquescence de l’homme. Le clou du spectacle étant la révélation de la grossesse sous héroïne de Courtney Love. Cobain se battît probablement vraiment contre son addiction en devenant père. Des douleurs constantes et surtout l’acharnement de la presse ont eu raison de sa volonté. Paradoxalement, quelques mois avant sa mort, il livrait sur MTV, un concert acoustique incroyable, MTV Unplugged in New York, donnant l’impression d’un homme apaisé.
La force de Cobain : Montage of heck est tout autant son principal défaut. Intimiste, le documentaire de Brett Morgen exprime au plus près à la fois le mal-être que la révolte, autant la culpabilité que l’espoir qui émane des textes de l’artiste. Le documentaire dépasse la simple hagiographie, la comptine pop de l’ascension fulgurante d’une groupe rock pour s’attacher à l’homme derrière le groupe avec ses doutes et ses tourments. Objet cinématographique non identifié, éminemment émotionnel, Cobain : Montage of heck rend son humanité à la légende. Pour ce faire, il s’insinuent néanmoins dans des recoins privés de la vie de Cobain et de son entourage avec un voyeurisme assumé que Kurt lui-même aurait sûrement haït. Cobain : Montage of heck est un magnifique dilemme, Cobain n’est-il pas une dernière fois face à l’homme qui a vendu le monde ? Tout au moins le sien ?
Retrouvez nos autres critiques sur Une graine dans un Pot :