J'ai trouvé ce film de 2h33 très bon, et passé le premier niveau de "lecture" de cette histoire que l'auteur nous mets sous le nez je l'ai trouvé nettement plus nuancé que je ne l'ai lu dans la majorité des critiques, concernant le point de vue sur la condition féminine, ce premier niveau étant évidemment un simple calque relevé par tous les spectateurs sur la dénonciation d'une culture du viol enracinée dans le patriarcat, et la femme comme solution aux différents maux dont souffre le monde.
Concernant ce premier niveau, donc, le spectacle est assuré, on a un schéma assez manichéen (mais en mode ternaire) avec :
- le seigneur idiot et illettré moyen ageux a souhait : esprit féodal et "chevaleresque" aride et stupide typique de l'image de la chevalerie de la guerre de 100 ans, et archétype du bigot pour qui la femme est un objet tel que relaté par les écrits / le clergé de l'époque. Sa version / vision des faits, la plus simple et finalement la plus brute, est evidemment la première présentée.
- le bourgeois en début d'ascension sociale, plus citadin, pré libertin, éduqué et sachant lire les évènements plus naturellement et soigner sa popularité, tant auprès de ses congénères que de ses protecteurs. C'est un homme entre 2 epoques, comme le prouve finalement son entêtement à tenter de sauvegarder son amitié avec Carrouges / l'ancien monde et son constat lucide qu'il n'en sortira rien de bon. Il est aussi le seul personnage qui semble animé, malgré son discours, d'un certain romantisme et le seul qui agit par amour (
allant jusqu'a renoncer a la vie pour préserver celle qu'il aime bien qu'elle veuille sa mort
). Sa version, qui varie dès la première scène de la version des faits précédente (inversion totale de qui sauve qui et pourquoi) est naturellement la seconde car frontalement différente, pour poser l'idée que les faits sont subjectifs une fois mis dans leur contexte personnel.
- la femme, qui serait dans ce premier niveau de lecture être uniquement l'objet du conflit qui fournit la seul réponse "vraie" car ayant la neutralité d'un "objet" : cédée comme une marchandise par son pere, utilisée comme un animal reproducteur par le mari, utilisée comme un objet sexuel par Le Gris... qui présente donc la thèse du viol dans une logique "synthèse" du 3e témoignage suivant la thèse et l'antithèse... (
avec le mot "verité" qui reste 1 seconde seul a l'écran quand le titre du chapitre 3 disparait... pas très fin ca :)
)
Maintenant, effectivement les 3 histoires sont très redondantes avec des scènes qui sont / semblent entièrement reprises 3 fois. Mais c'est pour insister sur les petites différences de chaque version qui éclairent les témoignages de chacun et permettent de comprendre les points de vue, et les identifier donne un côté "enquêteur" au spectateur qui s'il fait l'effort d'être actif ne trouve pas du tout que les redondances sont gênantes, au contraire.
J'ajoute qu'en y réfléchissant plus, je ne vois pas forcément la dernière version comme un manifeste féministe. Alors oui, la femme est plus douée pour gérer les affaires que son mari, mais on sait déjà que finalement n'importe qui ferait de même. Oui, elle est belle et forte et intelligente et il est normal qu'elle attire les sentiments ou la convoitise de Le Gris qui lui n'a accès qu'a des femmes faciles et futiles.
Mais...
il est évident qu'elle a besoin d'un heritier pour sauvegarder sa position, n'ayant plus de fief ou retourner et son mari commencant a songer a trouver une femme plus fertile. Le Gris qui semble engrosser bon nombre de femmes mariées qui ne sont pas attirées par leur mari peut être tombé a pic.
La fin suggere cela, par son absence de remariage apres veuvage, elle peut aussi avoir voulu faire d'une pierre 2 coups en sachant que son mari finirait par périr et lui laisser le fief de par son métier de chevalier mercenaire, et en ecartant Le Gris une fois son "office" fini. Sa réaction quand elle apprend que la solution voulue par son mari pourrait lui coûter la vie est en ce sens assez édifiante. Sa déclaration a sa belle mere, violée mais ayant voulu conserver son status quo pour finalement tout perdre a la mort de son mari, prend alors une autre signification.
On notera aussi, meme si cela est masqué par la rudesse du mari lors de sa demonstration de victoire, qu'elle n'eprouve aucune reconnaissance pour celui qui a lavé son honneur, ce qui etait sa revendication initiale...
Dans l'esprit "enquete policiere", le 3e témoignage est donc lui aussi teinté de doute, il y a un possible mobile pour une forme de machination, qui selon moi pourrait être aussi un message sous jacent du film.
Pour finir, le duel final qui m'a paru "expédié" n'est peut être finalement qu'un ajout pour masquer un peu plus les messages ou contenter le public qui se contentera du niveau évident de lecture. On résout l'histoire selon le schéma attendu (et historique), on fait un rapide épilogue sur la situation avec le petit texte sur le devenir des personnage classique dans toute histoire traitant de personnages ayant existé...
Dans d'autres compréhension du film comme celui que je viens d'exposer, la vraie fin est l'épilogue, qui répond au 3e témoignage.
Pour moi donc, un très bon film, dont le message n'est pas forcément féministe (pourrait-il meme être mysogine ?), mais laissant chacun, "Me Too", anti "Me Too", ou simple spectateur neutre, se faire sa propre idée.
Après tout, tout ceci c'est passé il y a 650 ans, il n'est plus possible de connaître la vérité, c'est donc les récits qui en sont fait qui la proposent... et c'est ca le vrai contenu du film.