Le film relate l'histoire ayant mené au dernier duel judiciaire en France, opposant Jean de Carrouges à Jacques le Gris, qu'il accuse d'avoir violée sa femme Marguerite, sur le témoignage de cette dernière. On suit l'histoire en suivant les points de vue de ces trois personnages, chacun son tour : d'abord Jean, puis Jacques, et enfin Marguerite. Et c'est là la première grande qualité du film : chaque témoignage apporte une version différente des événements, parfois avec de légères variations autour d'une même scène, parfois avec de nouvelles scènes auxquelles nous n'avions pas accès avant. Ainsi, le regard que l'on porte sur certains personnages va vraiment changer. Là où le procédé est le plus intéressant selon moi, c'est quand
on découvre la vraie réaction de Carrouges au viol de sa femme : loin de la noblesse qu'il prétendait avoir, on découvre un homme hypocrite, animé seulement par l'envie de laver son honneur et qui au final, fait courir d'énormes risques à sa femme sans son consentement. Il est par ailleurs coupable de plusieurs viols également, mais d'un viol rendu légitime par un système injuste. Autre cas particulièrement passionnant, si ce n'est plus, c'est celui de la perception du viol qu'il a commis par Jacques le Gris. Jusqu'au bout, il reste intimement persuadé de son innocence, ce qui est rendu particulièrement glaçant par le parallèle entre deux scènes : celle d'une orgie en début de film, avec une femme consentante qui fait mine de se débattre, et celle du viol, qui aux yeux de Jacques prend exactement la même forme (on remarquera notamment des parallèles entre les répliques et la mise en scène des deux passages). Jacques n'est dès lors plus le seul coupable : c'est tout un système qui est problématique, un système où la femme est un objet et où son consentement ne peut pas être pris en compte.
Tout cela permet donc d'avoir une histoire particulièrement riche puisque les narrateurs non-fiables nous cachent toujours une partie de la vérité. Là où j'émets une première réserve, c'est sur le manque de subtilité de certains éléments de l'intrigue. C'est un choix assumé, mais qui pour moi pose un certain problème "pédagogique" : le film, parfois, au lieu de nous faire nous poser nous-même des questions, nous donne directement les réponses. Il évite un certain malaise, certaines interrogations qui pourraient permettre à l’œuvre de rester plus longtemps en tête et donc de prolonger la réflexion qu'elle propose.
Attention, c'est loin d'être le cas tout le temps : mais ça reste là. Par exemple, lors de l'annonce du troisième chapitre, on lit d'abord "La vérité selon Dame Marguerite". Puis, le texte disparaît peu à peu pour ne laisser que "la vérité". Ce passage me semble particulièrement dommage, et vraiment peu nécessaire, bien qu'il ait un avantage : empêcher qu'on puisse remettre en cause la parole de la victime, comme c'est malheureusement souvent le cas dans ce genre d'affaire (et comme c'est le cas dans la diégèse).
J'aimerais maintenant m'attarder sur quelques points plus secondaires de l'intrigue, à commencer par le moins secondaire : le duel. Je dis secondaire car au final, il n'occupe qu'une place réduite dans le film, bien qu'il le commence et le termine quasiment. Il est une conclusion inévitable, mais pas le cœur de l’œuvre.
Le combat est particulièrement prenant et intense, mettant les deux duellistes tour à tour dans une situation délicate, jusqu'à la résolution libératrice, bien que teinté d'une certaine amertume : finalement, le combat donne raison à Jean de Carrouges pour son comportement particulièrement condamnable (la mise en danger de sa femme, traitée comme un objet qu'on lui aurait volé).
Le cadre historique, les costumes, les maquillages, les coiffures, les lumières, les décors, les batailles, les scènes de cours... tout cela contribue à rendre, au même niveau que des mouvements de caméra et un montage particulièrement lisibles, à nous immerger dans cette intrigue qui nous tient tout du long, malgré sa longueur.
Les personnages sont tous particulièrement réussis et bien exploités : les trio principal, mais aussi la famille de Carrouges, l'amie de Marguerite, le roi, le suzerain...
Au final, le film est très bon, bien que manquant selon moi de la subtilité qui en aurait fait un excellent film.