Un échec, d’autant plus terrible qu’il est injuste, a frappé un des meilleurs films de l’an dernier, le dernier en date d’un des derniers géants du cinéma qui, s’il n’avait pas de factures à payer comme tout le monde, ferait bien de tourner plus de projets comme celui-ci que de préquelles insipides à Alien. Cet échec semble tristement confirmer qu’en dehors des franchises déjà installées, des suites de suites de suites et des séries super-héroïques, il n’y a point de salut dans le cinéma à gros budget d'aujourd'hui…et c’est bien dommage car pour un budget somme toute “raisonnable” de 100 millions de dollars, ça faisait longtemps que je n’avais pas vu un Moyen âge aussi classe et aussi luxueusement présenté au cinéma. Mine de rien, cet élément a toute son importance : il ne s’agit pas de donner un cachet Fantasy à la réalité mais de rappeler que dans les années 1380, les gens d’un certain statut social ne vivaient plus dans des pièces aux murs nus avec une table, une torche et une vague draperie de deux mètres sur deux accrochées dans un coin. En dehors du soin apporté à ses décors (et de la mise en scène millimétrée de Scott, même si cet élément coule de source), ‘Le dernier duel’ est un grand film, tout simplement pour ce qu’il est sur le fond. Ce duel, à une époque où ceux-ci commençaient à être considérés comme une manière barbare d’arbitrer les conflits, oppose en cette fin de 14ème siècle Jean de Carrouges à Jacques Le Gris, le premier accusant le second d’avoir violé sa femme Marguerite en son absence. Carrouges est un chevalier bourru, inculte et pauvre, toujours parti par monts et par vaux et bien incapable de gérer correctement ses domaines, qui vit selon un code d’honneur déjà périmé à l’époque. Au contraire, le Gris, quoique d’extraction inférieure, est instruit et séduisant. Son intelligence lui permet d’être bien introduit après des puissants de son temps et d’avoir accès à la richesse et à une certaine impunité dans sa quête de plaisirs. On se doute que le choix de cet événement en particulier, fait divers oublié depuis sept siècles jusqu’à ce qu’un professeur américain de littérature médiévale en tire un ouvrage en 2004, de la part d’un réalisateur qui se tient généralement à l’écart de l’agitation du siècle, a quelque chose à voir avec la libération de la parole féminine de ces dernières années, et on saura gré à Ridley Scott de ne pas avoir choisir la leçonnette de moraline vite faite bien faite, qui aurait exigé de lui qu’il anachronise ses personnages. Si les deux duellistes présentent un profil très différent, ils n’en restent pas moins deux purs produits du Moyen âge, pour qui la femme n’est de toute façon, au choix, qu’un marqueur de statut social, une possession comme une autre, une jument reproductrice ou une terre à conquérir. D’autre part, dans une affaire comme celle-ci, la parole de la victime était de toute façon très secondaire par rapport à celle des hommes impliqués. C’est la raison pour laquelle Scott décide de corriger cette injustice en offrant à voir trois versions de l’événement, et de tous les éléments périphériques, rencontres, vexations réelles ou supposées, qui ont conduit à l’issue tragique : la vérité selon Carrouges, la vérité selon Le Gris et enfin, la vérité selon Marguerite de Carrouges, d’ailleurs sous-titrée une seconde fois comme “La vérité”. Il est fascinant d’observer de quelle manière aucun parmi les deux hommes ne ment bien qu’aucun ne raconte la vérité non plus. Cette manière dialectique et contradictoire d’aborder l’enquête, de manière à dissocier les faits de la vérité, les premiers étant objectifs, la seconde étant subjective en fonction des biais culturels propres à chacun, est évidemment un hommage appuyé, que les connaisseurs apprécieront à sa juste valeur, au ‘Rashômon’ de Kurosawa…mais qui a déjà vu ‘Rashomon’ dans la génération montante, ou même entendu parler de Kurosawa ? Tout l’échec du film tient dans ce constat, dont il ne faudra accuser ni Ridley Scott ni son film.