"Woman in Chains !"
Des premiers duels des Hussards Keith Carradine et Harvey Keitel entre Strasbourg, Augsbourg, Lübeck et enfin sur les hostiles et glaciales terres russes pendant la campagne napoléonienne pour “Duellistes”, son premier film en 1977, jusqu’aux joutes des chevaliers en armure Matt Damon et Adam Driver dans la boue et le sable d’un carré d’arme non loin de Notre-dame dans le Paris du XIVe siècle pour “Le Dernier Duel” en 2021, Ridley Scott est toujours là du haut de ses 84 ans. Durant près de 44 ans, tous les univers possibles et imaginables, qu’ils soient féeriques, fantastiques, mythologiques, horrifiques, policiers ou encore historiques, auront été visités par le réalisateur britannique, mais celui-ci n’aura jamais été aussi talentueux et fédérateur qu’à travers l’exercice de la fresque à grand spectacle. Son dernier effort, “Le Dernier Duel”, sonnant comme une sorte d'œuvre testamentaire, en est une fois de plus la preuve, sans pour autant jouer la carte de la démesure comme ce fut le cas avec “Gladiator”, Kingdom of Heaven ou “Exodus : Gods and Kings”. En effet, les amateurs d’immenses charges à cheval risquent d’être déçus, l’action est bien au rendez-vous, mais elle est parsemée au gré des campagnes guerrières parcourant le film. À la manière de son “Robin des Bois” avec Russell Crowe, Sir Scott nous entraîne une nouvelle fois dans un hypothétique récit historique. Basé sur des faits réels - dixit le petit encart en ouverture - “Le Dernier Duel” s’adjuge comme décorum le Royaume de France sous les règnes de Charles V et Charles VI, entre 1370 et 1386, une époque troublée par la peste et la guerre de Cent Ans. Dans ce contexte délétère - jamais le soleil ne brillera durant les 2h34' que dure le film et l’hiver y est permanent - l’histoire nous présente Jean de Carrouges (Matt Damon) et son écuyer Jacques Le Gris (Adam Driver) devant le siège de Limoges. Les deux hommes liés par une fraternité guerrière - qu’ils pensaient indéfectible - verront leurs chemins se séparer. L’un (Carrouges) épousera la belle Marguerite de Thibouville (l’éblouissante Jodie Comer), l’autre (Le Gris) se mettra au service du Comte Pierre II d’Alençon (Ben Affleck) et deviendra par la même le Capitaine de la forteresse de Bellême, un titre qui pourtant, incombait par héritage paternel à Jean de Carrouges. Unis par le sang des corps-à-corps, les deux hommes ne sont plus que des étrangers, voire même des rivaux. Revenu d’Écosse après une campagne militaire désastreuse, Jean de Carrouges, affaibli, malade, apprend de la bouche de sa femme, qu’elle a été violée par Jacques Le Gris. Fou de colère, Carrouges demande réparation. Après le témoignage courageusement inédit de Marguerite, le prix à payer sera un duel à mort avec Jacques Le Gris, mais ce n’est rien à côté du fardeau qui pèse sur les épaules de la frêle jeune femme. Selon la loi divine - omniprésente à l’époque - si le mari bafoué est tué durant le duel, l’épouse sera brûlée vive pour fausse déclaration ! Ridley Scott vient de poser les jalons dramatiques de l’un des derniers duels judiciaires que la France ait connu. Une fois de plus, dire que la reconstitution historique (les combats, les costumes, les décors) et la photographie sont splendides, serait vu comme un pléonasme dans la filmographie de Ridley Scott. Si dans la forme, pas de surprise, c’est dans le fond que “Le Dernier Duel” surprend ! La vraie bonne idée vient de l’effet “Rashomon” institué par Akira Kurosawa. Les faits nous sont dévoilés par les points de vue de Carrouges, le Gris et Marguerite. Chacun apportant sa pierre à l’édifice de sa vérité, jusqu’à l’inévitable passe d'armes emprunte d’une cruauté sans borne. Des carcans d’une société féodale dogmatique, religieuse et patriarcale violente , dans laquelle la femme est reléguée au rang d’objet sexuel et matriciel, Ridley Scott arrive avec maestria, à en extirper la figure féminine. Loin de l’image d’Epinal d’une noblesse chevaleresque, clinquante et humaniste, la gente masculine y est décrite avec toute la couardise de son époque. Les conflits livrés ne sont que prétexte à des batailles d’égaux lucratives renforçant les pouvoirs de certains seigneurs pas très regardant sur la loyauté envers leur souverain. De toute cette crasse, Marguerite De Thibouville s’impose en véritable héroïne malheureuse et courageuse de ce “Dernier Duel” comme le furent en leur temps Ellen Ripley (“Alien”), Jordan O’Neil (“G.I Jane”), Thelma Dickinson et Louise Sawyer (“Thelma et Louise”), Gail Harris (“Tout l’argent du monde”)... De là à dire que Sir Scott est un cinéaste féministe, il n’y a qu’un pas !