Deux films de Ridley Scott sont actuellement sur grand écran, l'un sur une famille de milliardaires, l'autre sur un fait historique s'étant produit en France. Le réalisateur n'a jamais en si peu de temps mélanger les styles et les genres dans deux longs-métrages aux dates de sorties si proches. Leur point commun : c'est qu'ils s'inspirent de faits réels. Et ces faits réels dans Le Dernier Duel, a suscité ma curiosité quant à l'interprétation que Ridley Scott allait en faire, et je suis sorti de la salle assez partagé.
Le réalisateur n'a plus rien à prouver, Le Dernier Duel jouit d'une mise en scène rythmée, et très violente lors de ses combats, le duel en question est d'ailleurs extrêmement prenant et divertissant. La tension et l'hémoglobine qui surgissent dans plusieurs scènes du long-métrages captent l'attention du spectateur qui ne peut qu'admettre la maitrise de la caméra, même si le reste lors des discussions et des voyages reste un peu plus académique. On ne peut pas enlever cette qualité au film. Les acteurs relèvent tous le niveau, entre un Ben Affleck cupide, un Adam Driver séducteur ou encore un Matt Damon un peu bête, et une puissance dans le regard de Jodie Corner. Nos quatre protagonistes donnent vie à un scénario on ne peut plus classique, qui donnent aussi l'ambiance et le ton du long-métrage.
Néanmoins, la volonté de traiter d'un sujet aussi moderne (à savoir l'indépendance de la femme, et son pouvoir à dénoncer l'agression sexuelle) me laisse très perplexe. Elle est bienveillante, mais très anachronique. Dans l'histoire de l'affaire d'ailleurs, nous n'avons jamais su qui était coupable. Je trouvais donc intéressant que Ridley Scott laisse la suggestion au spectateur, de la même manière que l'a fait Paul Verhoeven dans Benedetta sur un autre sujet. Mais le réalisateur prend parti en décidant que le viol s'est réellement passé. Par conséquent, il brise à mon sens la frustration mais aussi l'émotion que suscite un récit basé sur une suggestion, où le spectateur décide de lui-même de qui peut bien mentir, et qui peut dire la vérité. Il l'interprète par le contexte, les regards, les non-dits, sa morale, son éthique. Tout ça est bien mis en scène dans le premier acte, mais le troisième tombe dans les limbes.
A partir de là, on ne comprend plus pourquoi le film s'appelle Le Dernier Duel. Car dernier duel ou pas, ça n'a pas d'importance, vu que le fond du film ne réside ni dans la politique de l'époque, ni dans la démonstration historique, mais dans le féminisme. Pourquoi pas, mais n'importe quel autre duel aurait pu servir cette histoire, même si elle ne basait pas sur des faits réels. Le film n'a donc aucun réel intérêt historique, et tout reste en surface. Même les actes vus sous chaque point de vue est mal pensé. Ne serait-ce que les scènes que l'on revoit à l'identique mais sous un point de vue différent sont ratées, car même les dialogues changent. J'aurais trouvé ça plus intéressant que les dialogues restent identiques, mais compte tenu du point de vue que l'on suit dans tel ou tel acte, auraient eu un impact différent. Là c'est trop extrême, on passe de "Nous aurons un enfant quand tu rentreras" sous le point de vue de Jean de Carrouges quand il parle à sa femme, à "Sors pas, obéis moi" sous le point de vue de cette dernière, je trouve ça trop ridicule et mal amené. De même la critique de la science sous la croyance aurait pu être un élément du récit très intéressant, mais est utilisé simplement pour justifier l'idéologie amenée dans le film, ça n'est jamais approfondi. On comprend donc que les deux premiers actes ne servent finalement pas à autre chose que de servir les propos du troisième où Marguerite de Carrouges passe son temps à être un personnage qui a toutes les qualités du monde.
Le thème abordé par le film est évidemment très intéressant, louable et bienveillant, mais il aurait pu être beaucoup plus impactant dans un récit plus récent, et dans une manière de raconter beaucoup moins manichéenne. Le duel a beau être jouissif à regarder, tout devient moins prenant et immersif quand on se rend compte que le message est beaucoup trop décalé et évident, c'est beaucoup trop explicite. Les qualités du film sont ce qui fait sa forme (les décors, les costumes, les acteurs, les batailles) mais son fond est bancal et pas très bien amené. On ressort donc du film mitigé, comme l'impression d'avoir passé un bon moment divertissant et bien fait, mais où le message passe complètement à coté et a du mal à être crédible dans ce contexte historique, qui ne sert finalement que de tableau. Quand bien même Ridley Scott tenait à raconter cette histoire sous le prisme du XIVe siècle, une façon de faire plus suggestive aurait pour moi eu beaucoup plus d'intérêt et d'impact.