En 2021, Ridley Scott nous a gâté, avec deux productions sorties à moins de deux mois d’intervalle. Dont ce « Last Duel », qui est tout simplement l’un des meilleurs films de l’année… et qui a pourtant subi une sévère déculottée en salles (30 maigres millions de dollars de recettes mondiales, pour un budget de 100 millions !). Un échec public criant, qui est la véritable injustice cinématographique de 2021. Une ironie quand le film parle précisément d’injustices au Moyen-Age… Car « The Last Duel » évoque le dernier duel judiciaire de l’Histoire de France, en 1386. Un procédé aussi simple qu’expéditif, où l’accusé et le défenseur s’affrontent en combat singulier. Le vainqueur étant, au nom de la justice divine, considéré comme celui qui a raison. L’objet du litige étant ici l’opposition entre deux hommes, l’un accusant l’autre d’avoir violé sa femme, sur fond d’une série de querelles. Bien entendu, ce n’est pas tant le duel que ses tenants qui intéressent Ridley Scott. Le réalisateur construit en effet son film pratiquement comme une étude de mœurs de la fin du Moyen-Age en France. Outre des costumes très soignés, et une palette de décors réels (tournage effectué dans les châteaux de Dordogne, notamment), le film évoque surtout les rapports de pouvoir entre les Hommes à cette époque. Et bien entendu, la place difficile des femmes, où le viol est monnaie courante, et où la femme sert surtout à construire le statut de l’homme. Et pour raconter son histoire, le réalisateur emploi le procédé « Rashomon ». Le film est donc divisé en 3 chapitres, chacun vu d’un protagoniste clé dans cette affaire de viol. Certes, ce procédé narratif n’a en soi rien d’original aujourd’hui. Mais Ridley Scott l’emploie de manière fine et justifiée. Ainsi, les scènes ne seront jamais identiques d’un point de vue à l’autre. Et l’intrigue va se construire par juxtaposition de ces points de vue et de ces perceptions, le montage maniant les ellipses avec grande adresse. Dialogues différents ou clamés par un autre personnage, changement plus ou moins fort de manière de filmer, jeu d’acteurs plus ou moins nuancés… Nombreux sont les outils utilisés pour montrer que chacun se croit le héros de son histoire. Et surtout, que chacun pense avoir raison ! Un procédé déployé avec subtilité donc, et qui s’inscrit pleinement dans l’ère #metoo. Avec notamment cette scène de viol singulièrement différente selon le point de vue, qui montre qu’un agresseur avec une vision déformée de la réalité, et une habitude de traiter les femmes en objet, peut se croire dans son droit. Par ailleurs, Ridley Scott est en forme sur sa mise en scène. Photographie impeccable, qu’il s’agisse des extérieurs hivernaux, ou des intérieurs intimistes. Des séquences de batailles et un duel final sauvages, qui rappellent les grands moments de « Gladiator ». Et un quatuor d’acteurs sans faute, qui semblent s’éclater à exploiter les différents points de vue pour varier leur jeu. Ben Affleck étonnant en comte décadent (ne vous arrêtez pas à sa coupe de cheveux improbable !). Adam Driver tiraillé entre ce nouveau maître, son ancien ami, et sa passion dévorante pour la femme de ce dernier. Matt Damon dans un contre-emploi surprenant, en mari courageux mais vaniteux et peu fin, qui aligne les mauvaises décisions. Et là encore, un style capillaire sans doute pertinent historiquement, mais détonnant ! La surprise du film étant Jodie Comer, poignante en femme qui a toutes les qualités pour survivre à une époque difficile. Et qui est déterminée à ce que justice soit faite, malgré un statut qui ne l’y autorise pas, et un manque de soutien, y compris venant des autres femmes, voire d’autres victimes. Un personnage fort qui là encore, cristallise bien des éléments qui sont ressortis après #metoo ! « The Last Duel » est donc ambitieux et allègrement cinégénique. Pleinement inscrit dans son temps, il n’a aucunement mérité son cruel échec au box office.