Trois visages, un film en trois parties ; la première pour le père, la seconde pour le fils, et enfin la mère. Par ces trois personnages nous allons pénétrer dans l’âme d’Israël.
La partie du père, architecte, est très ordonnée, un appartement cossu, froid, démontrant une certaine réussite sociale ; une des premières images du film est un tableau d’art contemporain enchevêtrement de lignes toutes droites. L’appartement est impeccablement en ordre, rien ne traine.
Pour le fils nous atterrissons à un checkpoint en plein désert dans un monde absurde, dérisoire, un paysage irréel de désert pierreux, mais aussi de cloaque boueux où cinq soldats s’ennuient.
Pour la troisième partie, celle de la mère, l’histoire a évolué ; le drame causant le clash familial a eu lieu ; le tableau vu dans la partie du père est décentré ; le désordre règne.
Quant au début du film trois militaires viennent annoncer la mort du fils soldat à ses parents : la mère tombe dans les pommes, le père reste hagard, prostré, pas de larmes. De suite, c’est l’armée qui va régler les obsèques religieuses : Si Israël est la seule démocratie (au sens où l’on y vote) du Moyen Orient, c’est aussi une théocratie et armée et religion c’est un peu pareil.
Car dans ce film fourmillent les allégories sur ce qu’est Israël : la grand-mère est rescapée de la Shoa, mais elle a perdu la mémoire et ne réagit pas à l’annonce de la mort de son petit-fils ; le seul à qui l’on ouvre la barrière du checkpoint sans formalité est un chameau qui ensuite précipitera l’histoire dans le drame ; l’erreur, le crime la honte de l’armée sont enfouis profondément sous terre afin d’y être oubliés, gommés ; le container qui sert de chambre aux militaires du checkpoint s’enfonce dans la boue inexorablement petit à petit ; le foxtrot du titre, dansé à plusieurs reprises dans le film, se danse à deux sur un petit espace et en revenant toujours au point de départ ; le dessin extrait du carnet du fils est interprété par ses parents de façon différente de ce que le fils a voulu montrer. À plusieurs reprises nous voyons à travers une fenêtre hublot des vols d’oiseaux migrateurs. À son adolescence, le père a échangé une précieuse Torah qui a traversé la Shoah contre une revue érotique chez un bouquiniste… y’a beaucoup à interpréter, à fouiller, à analyser dans le film. C’est un vrai régal.
Plusieurs scènes dans l’appartement sont filmées de très haut, verticalement, beaucoup plus haut que le plafond : il est tentant de penser que c’est le regard de Dieu, mais le père nous a informés que la famille est athée (ce qui n’est pas tolérable en Israël) : ce n’est donc pas le regard de Dieu, mais plutôt l’oppression subi e par l’armée, la religion et le lourd passé à vivre de la Shoah qui transforment les citoyens en marionnettes manipulées.
Le film est une évocation très critique d’Israël, plus pertinente qu’un tract. Les autorités d’Israël n’ont pas apprécié et auraient probablement bien aimé l’enfouir bien profond sous terre… mais Israël reste une démocratie et le film a été un gros succès là-bas, aidé par la polémique crée par la Ministre de la Culture : Israël souffre d’être ce qu’il est, et souffrira encore s’il ne change pas. Les palestiniens vivent le pire, les Israéliens s’attendent au pire.
La mise en scène, les cadrages sont très esthétiques voire expressionnistes. Dans une interview Samuel Moaz dis « Si je réfléchis à ma mise en scène, je pense que le cœur du film est la traduction intuitive de mon monde intérieur. Il m’est difficile d’en dire plus. Presque chaque élément qui me vient à l’esprit est visuel. À la fin du processus, l’approche esthétique sert une idée qui a elle-même été suscitée par une stimulation visuelle ».
Pour moi aussi il est difficile de dire plus sur l’expérience envoutante qu’apporte ce film.
Après Lebanon son premier film, Samuel Maoz confirme ici qu’il est un très grand réalisateur. Un film à ne pas rater.