Drôle de mec que Gaspar Noé ; cinéphile à la culture ciné très éclectique et cinéaste bourré d'idées, il n'en demeure pas moins un interlocuteur insipide et maladroit dans toutes ses interviews, ainsi qu'un réalisateur auquel il manque ce petit truc pour faire émerger définitivement la poésie qui émane de ses films de façon trop désordonnée et pas assez incarnée. Visuellement, le rendu est pourtant cette fois encore vraiment intéressant. Beaucoup moins virtuose qu'à l'ordinaire, Noé choisit malgré d'éternelles envolées un rendu globalement plus rêche par lequel il restitue bien le manque avant tout charnel né d'une passion amoureuse dont il ne reste plus qu'un souvenir, et confine aussi son image à un esprit masculin piégé dans les limites de ses propres fantasmes. Ce dernier point rend le nombrilisme du film - Noé place sans arrêt des références à sa filmographie et à ses goûts, se permettant même un gros caméo et en laissant également un plus discret à son chef-op' Benoit Debie - plutôt acceptable, sinon agréable ; parfaitement conscient de se regarder le nombril, le cinéaste nous invite à le regarder avec lui et à donner un peu de nous dans ce nouveau jeu voyeur complètement assumé. La narration m'a également séduit ; erratique au gré des pulsions de son personnage et souvent imprévisible, son morcellement écrit cette histoire au pinceau intime d'un jeune homme (clairement l'alter-ego de Noé) inconstant et inconsistant, piégé entre sa lubricité et un désir spirituel qui le ravale à sa propre médiocrité. Ce personnage et ceux qu'il côtoie, à commencer par sa copine, permettent donc de pénétrer avec précision la psyché de son réalisateur mais demeurent quoi qu'il en soit la grande faiblesse du film ; navrants de médiocrité, servis par des dialogues souvent naïfs qui se heurtent de plein fouet à la dimension métaphysique qu'ils questionnent sans arrêt, et joué par des acteurs amateurs qui ne font passer que trop peu d'émotion, les deux membres de ce couple tracent la limite du cinéma de Gaspar Noé. Cette limite, c'est celle des passions charnelles comme centre gravitationnel, d'une libido omniprésente qui renvoie les prétentions plus intellectuelles de son auteur (Noé aime le classique comme le cinéma) ou de ses personnages à de simples tentatives d'exister en dehors de cette sphère érotique si accaparante. Si d'ordinaire, ses films si violents, malgré des envolées poétiques qui saillaient comme des déchirures dans le trivial, décrivaient bien ce tiraillement et nous ramenaient nous-aussi à l'humaine animalité qui est nôtre, Love fait un peu trop passer cette absence d'alchimie dans un champ normalisé (à part la séquence de la boîte libertine, qui redonne une vraie puissance au film) et écarte en partie le pathétique assumé des personnages de Noé pour laisser davantage l'impression d'une vision qui ne se remet plus assez en question. Comme si Noé persistait complètement à croire que l'amour est tel qu'il l'entrevoit et pas autrement. Il y a, cependant, un dialogue intéressant entre cette individualité affirmée qu'est celle du franco-argentin et la société contemporaine, ici gentiment raillée à de nombreuses reprises. Tourné dans un anglais qui a légèrement le goût d'un pied-de-nez à la France, Love fait défiler les français à l'accent grotesque et limite caricatural, comme si les personnages s'efforçaient d'entrer dans la ronde et de se mêler à l'univers de cet américain qui vit à Paris (mais jamais ne daignera parler un mot de français), comme irrésistiblement attirés par son monde et celui de Noé. Comme si, derrière son puritanisme, la société n'attendait que de se laisser aller au libertinisme et à la libération de sa sexualité. Certes, c'est un peu prétentieux, mais assez railleur pour me mettre en garde et m'éviter de rejeter Love en bloc au risque de m'enfermer moi-aussi dans une attitude ridiculement outrée. Love a beau compter pas mal de défauts qui démolissent l'émotion, il porte en lui cette personnalité inchangée et vaut déjà très cher pour ça. S'il peut emmerder quelques associations moralistes, c'est déjà ça de gagné. Cependant, je trouve que la tentative de mêler le sexe à la relation amoureuse pour lui faire gagner encore en force est un échec total. Peut-être Noé ne s'en rend-il pas compte, perdu dans la fascination qui est la sienne pour l'érotisme, mais celui-ci dévoile ses personnages de façon beaucoup trop poussée et les confronte bien trop vite à leurs limites humaines. Ce n'est pas être prude que de le dire, mais le fait canonique de cacher les scènes de sexe au cinéma, souvent juste au moment où les personnages sont à l'acmé de leur sensualité pré-passage à l'acte, c'est laisser l'impression qu'ils partagent dans ces moments où on ne peut pas les suivre un secret gardés par eux-seuls, quelque chose de beau et d'infiniment attirant qu'on ne pourra jamais toucher. En dévoilant tout, Noé fait tomber le sexe dans le champ du routinier, perd toute aura et revient à la trivialité ordinaire de son univers en dévoilant simplement deux corps en plein coït. Certes, ce n'est en rien contradictoire avec son propos sur les chocs répétés entre l'amour charnel et un certain désir d'absolu qui va bien au-delà, mais n'empêche, cela détruit complètement la sensualité de son film où plus rien n'est attirant parce que plus rien n'est inaccessible, autant pour le spectateur que pour les personnages. Voilà aussi pourquoi, en plus des dialogues très très limités et d'un jeu d'acteurs complètement en dents de scie, Love ne m'aura pas ému une seule fois, et voilà pourquoi Noé ne pourra sans doute plus me plaire totalement : parce que ses films reviennent en définitive à une trivialité pas vraiment inspirante si on ne la confronte pas assez à l'envie de la dépasser. Toujours aussi dépourvu de limites et formellement superbe, mais un peu pauvre en contenu émotionnel. Ça reste un bon film, mais j'en attendais plus.