Je suis un peu embêté, ce film je l’ai tellement attendu, tellement ardemment défendu sans même l’avoir vu, j’adore Gaspar Noé, jusque là sa filmographie me semblait quasi parfaite et je ne pensais pas qu’il me décevrait un jour, même à moindre mesure, surtout que ce projet Love était selon lui celui qui lui tenait le plus à cœur, celui qu’il rêvait de concrétiser depuis une bonne dizaine d’années. Mais là je dois dire que c’est la douche froide, enfin tiédasse disons, j’ai l’impression que Noé m’a blousé, ou je ne l’ai peut être pas compris, c’est possible aussi, mais à mes yeux l’amour au cinéma ça ne se calcule pas, ça ne se synthétise pas, ça se ressent, et malheureusement je n’ai pas suffisamment ressenti de choses.
Depuis les premières manœuvres du fameux projet Love il y avait de quoi être excité, le goût pour la provocation de Noé me plaisait beaucoup, ça faisait déjà bondir dans les chaumières de voir ce sexe cracheur de foutre en étendard placardé sur quelques murs parisiens ou sur les pages des sites se délectant à l’avance du buzz médiatico-moral de la sphère internet, ces affiches donnaient déjà un petit aperçu sulfureux hors norme dans ces actualités cinéma toutes plus mornes les unes que les autres, Gaspar allait enfin nous sortir du marasme. La séance de minuit cannoise est d’ailleurs sans doute resté comme un des moments cultes du festival 2015, générant une foule d’innombrables cinéphiles venus découvrir le dernier objet de ce cinéaste singulier, le résultat fut évidemment contrasté, comme à son habitude, certains mêmes déçus de ne pas regoûter au scandale Irréversible de 2002, pur masochisme il faut croire. Impuissant j’assistais à tout cela de loin, les multiplexs provinciaux boudant en grande partie la sortie du dernier porno à la mode et préférant nous distribuer moultes feel-good movies me faisait enrager, mais je me suis enclin à demeurer dans l'attente de ce jour où je savourerai ce Love, restant à l'affut de la sortie vidéo.
Et ce jour est enfin venu, l’excitation au summum, le film démarre même en trombe avec ce plan de masturbation conjointe sur une musique douce, la volonté de Noé de poser sa caméra pour nous proposer ce genre de moment brut et gracieux me donna le sourire, ça y est, on y est. Love c’est l’histoire de Murphy, cet américain étudiant en cinéma à Paris, il se réveille auprès de sa petite amie et de son bébé, mais cette vie ne lui convient pas, il est rongé par le remord, celui de ne plus être auprès d’Electra, son ex-girlfriend. Il s’inquiète après l’appel de la mère de cette dernière soupçonnant un suicide, il replonge alors dans ses souvenirs, gobant de l’opium en cachet puis s’agglutine sur son lit, les flashbacks d’un bonheur perdu. Au premier abord, et Love a d’ailleurs été vendu comme tel, je m’attendais à un porno sentimental, car l’amour est fait de sexe, d’émotion et de douleur, Noé va s’intéresser au parcours de ce jeune homme à travers ses fantasmes, son aigreur, ses doutes, creuser ce qu’est le couple dans ce qu’il a de plus concret, là où les corps s’enlacent, les sexes se manipulent, les disputes éclatent, la vie intime à l’écran.
Partant de là je trouve que Love fait tout de même preuve de suffisance, les intentions sont je pense placés mais personnellement il m’a manqué une chose primordiale dans ce film, ce sont les sentiments, tout simplement, et on ne peut pas tricher bien longtemps avec ça, le duo ne fonctionne pas vraiment, c’est dommage, erreur de casting déjà, car autant je trouve Karl Glusman plutôt correct que Aomi Muyock beaucoup moins, il n’y a pas (ou du moins trop peu) d’alchimie, autant visuelle que narrative. Les dialogues trahissent trop souvent cette volonté de nous faire comprendre ce qu’est le couple, ça manque de sincérité, on a l’impression qu’ils sont constamment en train de se découvrir, bloqués dans une sorte de speed-dating perpétuel, je n’ai très franchement pas compris cette façon de traiter la relation amoureuse, c’est tout de même accablant de voir des acteurs paraissant à la fois réciter des lignes de script puis partir en roue libre dans des querelles de cabots, la direction de Noé est pour le coup plutôt stérile, surtout quand on se rappelle de Irréversible par exemple, où niveau mise en scène c’était une véritable leçon de bout en bout.
Pourtant le montage est vraiment très intelligent, les flashbacks sont bien intégrés, il y a des idées de raccords audacieux, délaissant la virtuosité technique de ses deux derniers films pour davantage se rapprocher de la simplicité de Seul contre Tous, avec également cette voix off du pessimisme de Murphy rappelant celle du boucher chevalin. Et puis esthétiquement ça reste indiscutablement magnifique, bien que l’ayant vu en 2D j’imagine que le relief 3D pouvait donner des fulgurances visuelles fantastiques, je pense à la séquence de la boite échangiste avec ces flashs qui peignent les corps, la meilleure du film je trouve d’ailleurs. La bande son est également exceptionnelle, participant à délivrer des moments de grâce et de transe précieux, quand le silence se fait pour laisser la musique rythmer les images Love est juste sublime, en fait je trouve qu'il aurait mérité d’être plus mutique, car dès que les acteurs ouvrent la bouche c’est la cata. J’en veux pour preuve l’étreinte finale sous la douche, c’est beau, puis ils se regardent et le mec sort un truc du genre "As-tu peur de mourir ?" et qu’elle rétorque "J’ai peur de souffrir", ça fout tout en l'air, non pas que ce soit juste ou pas c'est qu'il n'y a aucune spontanéité, personne n'a ce genre de discussion à jeun.
Quand à la place du sexe explicite il est formellement intéressant dans la majeure partie du film, peut être parfois un poil rébarbatif, comme si on essayait de nous désensibiliser, que c’est un acte avant tout naturellement addictif, et c’est vrai, après le fait de le sur-filmer peut faire débat, mais c’est la patte Noé il n’y a pas de doute là dessus, ça reste un film personnel. Tellement d’ailleurs que le père Gaspar ne se gène pas pour placer divers clins d’œil, pas mal grossiers il faut bien l'avouer : le fils de Murphy qui porte son prénom, l’ex de Electra son nom (enfin il y va de son cameo, carrément), la cassette de Seul contre Tous, la maquette de l’hôtel de Enter the Void, son producteur en flic, Debie en chaman, bref il a tout mis, comme si il voulait forcer le destin à délivrer son chef d’œuvre, après tout pourquoi pas, autant se faire plaisir, les mauvaises langues crieront au narcissisme, easy. C’est un peu le symbole du long métrage en fait, vouloir encore s’en tenir à privilégier le contenant (malgré les efforts à se poser) alors qu’à mon sens le fond et la sensibilité devaient littéralement transparaitre pour nous transporter et créer un véritable déchirement, à l’image de ce que vit Murphy.
Parce qu’au final le constat c’est qu’on s’en fout un peu de cette tragédie, l'empathie degré zéro, si on a déjà connu la cruauté de ce qu’est le couple, la séparation brutale, les remords, la nostalgie, l’illusion que nous en donne Noé reste éminemment superficielle, ça sonne même parfois totalement cliché et faux, genre la séquence de leur rencontre franchement on n’y croit pas une seconde tellement c’est idiot, de même à chercher par exemple cette pseudo parité dans le vice lorsque Electra le force à coucher avec un travelo après qu'ils aient forniqué avec la voisine, ça n'a pas de sens. Pourquoi tenter d'intellectualiser les enjeux d’une relation ? Pourquoi les pousser à discuter de profondeur didactique de ce qu’est l’amour et la mort ? J’aurais préféré voir davantage d'authenticité, le véritable lien amoureux ne se noue que trop rarement pour être sublimé, comme si l’intérêt n’était que purement allégorique pour en revenir aux plaisirs charnels, encore une fois le sexe est primordial et voir les corps communiquer jouent en faveur du film, mais si l’émotion ne fonctionne pas ça reste bien trop fragile en considération.
Love s’inscrit donc comme une semi-déception, ma première chez Gaspar Noé, une entreprise qui se voulait tellement sincère et sensitive s’en retrouve en fin de compte avant tout formelle voire désincarnée, une histoire de détresse amoureuse qui devait me parler et qui m’aura passablement laissé sur le carreau de cette salle de bain rouge vif. Évidemment tout n’est pas à jeter fort heureusement mais le contrat n’est pas entièrement rempli, la naïveté narrative l’emporte sur le mélodrame passionnel, la justesse sentimentale est bafouée, ou je n’ai tout simplement pas compris sa vision du couple et ce qu’il représente à ses yeux, car pour souffrir il faut aimer, et paradoxalement Love manque d’amour.