Film intéressant à plusieurs niveaux: par son atmosphère onirique et son jeu "décalé", qui peut, d'une certaine façon, nous rapprocher de l'atmosphère des films de Franju, par le soin évident apporté à l'esthétique de l'image (le cadre, la couleur, les très gros plans, les vues de Nice), mais aussi à cause des problèmes éthiques qu'il soulève tout en empruntant le ton léger de la comédie satirique. L'eugénisme a été une doctrine récurrente depuis le début du XXe siècle, les théoriciens ayant alors eu beau jeu de rêver d'un "monde meilleur" sans pouvoir être soupçonnés pour autant de mauvaises pensées. L'écrivain Herbert George Wells ("L’homme invisible", "La guerre des mondes", "L’île du Docteur Moreau") lui-même flirte avec ces idées et adhère en 1907 à la Société Eugénique, qui prône l'eugénisme négatif. En revanche, les eugénistes dont il s'agit dans ce film n'ont pas pour souci le bien-être de l'humanité, pas de toute l'humanité en tout cas : l'eugénisme n'est pour eux qu'un moyen de prendre le pouvoir ; il est aussi conçu comme une sorte de club fermé, réservé à une élite "triée sur le volet". Bien sûr, ces idées de sélection de l'espèce comme dans un haras humain font peur... Mais il n'empêche que le gourou interprété par Patrick Messe n'est pas dépourvu d'un certain "charisme débonnaire", propre à en séduire plus d'un! Qui n'a rêvé, un jour, d'une société parfaite où tout le monde serait beau et intelligent? Voilà une question qui dérange: au-delà de son étrange poésie, proche de l'atmosphère idéalisée de la bande dessinée (n'est-ce pas un dessin animé qui sert de générique?), "Félix et les loups" nous confronte à nos propres démons, à nos propres tentations. Le protagoniste, Félix, alias Julien Baumgartner, parfait en benêt candide, veule et touchant cependant, n'est-il pas un frère dont nous ne pouvons que nous sentir proches? C'est "l'homme moyen" dans toute sa complétude, c'est vous, c'est moi: lorsqu'on lui propose (si gentiment) de sortir des tracas d'un quotidien médiocre en lui faisant accroire qu'il appartient à cette "race des élus", il ne résiste pas, et il signe. Mais qui, au fond, ne serait pas tenté de signer, à sa place? Malgré une intrigue incroyablement alambiquée, c'est à cette angoissante question que P. Sisbane nous renvoie: démarche intéressante, en ces périodes de doute où, plus que jamais, la tentation peut être forte.