Quelques plans d'architecture baroque italienne accompagnés du "Magnificat" de Monteverdi et nous voilà d'ores et déjà invités, dès l'ouverture de ce film, à nous mettre en quête de beauté et de lumière. Le temps, cependant, de faire un crochet par la France et d'y découvrir un architecte prénommé Alexandre à qui on fait les honneurs d'un prix. "On m'a demandé, à plusieurs reprises, de construire des églises, explique-t-il dans son discours de remerciement, mais je m'y suis toujours refusé! Car je suis matérialiste et je préfère construire des usines, qui sont les cathédrales d'aujourd'hui!" Déçu, peu de temps après, parce qu'un de ses projets est remis en cause, il décide de partir en Italie, sur les traces de Borromini, un architecte du XVIIe siècle, rival du Bernin, et concepteur de nombreuses églises!
Accompagné de sa femme Aliénor, une psychanalyste, ils ne tardent pas à faire la rencontre, sur la rive du lac Majeur, de deux jeunes gens: Lavinia, une jeune fille maladive, et son frère Goffredo, lui-même passionné d'architecture. Le couple s'attache aussitôt à ces jeunes gens.
Goffredo montre à Aliénor un de ses projets: contrairement à Alexandre qui n'a jamais conçu les plans d'une église, le jeune homme a imaginé une cité rayonnant autour d'un temple. "Mais de quelle religion sera ce temple?", demande Aliénor. "De toutes!, répond Goffredo. Toutes les religions s'y retrouveront pour prier ensemble!" Belle utopie de la jeunesse!
Précisément, la suite du film se métamorphose subtilement en voyage initiatique ou, plus exactement, en deux voyages initiatiques qui se rejoignent. Alexandre emmène Goffredo à la découverte des trésors architecturaux de Rome, ceux de Borromini, concepteur d'un "baroque mystique", et ceux du Bernin, concepteur d'un "baroque rationnel", tandis qu'Aliénor reste, sur les rives du lac Majeur, aux côtés de la délicate et maladive Lavinia. Mais, pour l'un comme pour l'autre, il s'agit bien de voyager, de se mettre en mouvement. Car l'un comme l'autre, au contact des deux jeunes gens, sont, petit à petit, changés intérieurement. Ils vont vers la "sapience", accueillant l'un et l'autre, l'amour et la lumière: Alexandre en faisant découvrir à Goffredo les sublimes églises conçues par Borromini, un architecte qui voulait que la lumière se diffuse du sommet jusque dans tout l'édifice; Aliénor en se mettant à l'écoute et au service de Lavinia, une jeune fille qui, quoique souffrante, rayonne de lumière et de beauté. Car l'une des grandes originalités de ce film, c'est que ce ne sont pas les personnes d'âge mûr qui initient les jeunes, mais plutôt le contraire! Ce sont les plus âgés qui, au contact des plus jeunes, retrouvent le trésor perdu de la "sapience".
Eugène Green, qui nous a déjà donné de nombreux films et dont on reconnaît tout de suite le style, très particulier, inimitable (et qui, peut-être, malheureusement, ennuiera certains spectateurs), signe là, probablement son meilleur film à ce jour. Un film sublime, confondant d'intelligence et de beauté, et qu'il me tarde déjà de revoir! 9/10