Un film inventif et intéressant, aux contours parfois "flous", qui explore des problématiques de l'homme moderne, impuissant et rendu muet par la société.
Tout n'est pas entièrement clair et évident au départ dans Tout est faux. Dans ce micro-petit-film-indépendant (équipe bénévole et budget minimum destiné à la régie directe), on suit Fred dans les rues de Paris, entre son boulot, ses rendez-vous fréquents avec son amie Marie, confronté à un dealer un peu fou, etc., et la narration ne fait pas sens tout de suite. Nous sommes un peu perdus dans la temporalité (marquée tout de même par l'évolution de la campagne politique de 2012), dans la géographie, dans le lien entre les différents personnages, etc. Mais au fur et à mesure, on réunit les pièces de ce puzzle narratif et on reconstitue tout ce qui fait de Fred un personnage-synthèse de l'homme moderne.
Le comédien Frédéric Bayer Azem nous donne un Fred souvent neutre, qui subit, ayant tout en dedans et aux limites de l'underplaying ; ce qui permet une identification intéressante avec cet homme. Il fait un travail abrutissant (répondre au téléphone par des "Oui" et des "D'accord" puis dessiner sur des post-it) - lors de scènes à l'esthétique certes pauvre mais permettant d'augmenter encore plus l'absurdité des actions, notamment au travers du son anti-naturaliste au possible. Il est "subtilement" placé dans la friend zone par son amie Marie qui ne s'intéressera à lui que le jour où il s'intéressera à une autre femme. Il ne connaît ou ne comprend pas l'amour. Il est perdu dans les débats politiques. Il n'arrive pas à prendre la parole et subit.
C'est peut-être l'élément le plus important de Tout est faux. Autour de Fred tout le monde parle mais pas lui. Marie (Demasi) déverse un flot quasi-ininterrompu de paroles, le plus souvent au téléphone à d'autres personnes ; les hommes qui draguent Marie (dont le flippant Sébastien Novac) lui coupent l'herbe sous le pied et le considèrent à peine ; le délirant dealer qui alpague Fred régulièrement (le détonnant Hugo Malpeyre) se la joue à la Brad Pitt dans L'Armée des 12 Singes et nous perd dans un monologue philosophico-déglingo ; l'homme du pont (Mathieu Lagarrigue) également hurle un monologue engagé au-dessus d'un chemin de fer ; les hommes politiques débattent et débattent et débattent...
Fred subit, écoute et ne comprend pas toujours. Mais là où la narration sort du brouillard, c'est quand on perçoit l'évolution de Fred ou plutôt son envie d'évolution, son envie de prendre parole. L'achat d'un mégaphone prend alors tout son sens. Il n'ose d'abord pas s'en approcher, puis si, mais n'ose pas l'essayer devant le vendeur, une fois chez lui il ne comprend pas comment l'utiliser, etc. Il finit même par l'offrir à l'homme du pont qui pourra alors se faire entendre d'encore plus loin durant ses litanies. Mais Fred a fait le premier pas, il a évolué et sa relation avec la femme de la laverie en est la preuve ; il partage et il parle. Et c'est peut-être ça qui choque le plus Marie quand finalement Fred parle de sa nouvelle rencontre. Il lui donne du répondant et ce dialogue en devient savoureux.
Vous l'aurez peut-être compris, Tout est faux est un film très intéressant mais parfois peu accessible à un public qui ne voudrait pas faire quelques efforts pour adhérer à une narration un peu détendue, floue et parfois absurde. Mais le contexte de production de ce petit film en font une curiosité à voir, ne serait-ce que pour se faire un avis sur ce qui peut se faire au cinéma, sans un kopeck.