Made in France : les secrets du tournage

C'est en 1995, au moment de la retransmission de la cavale du terroriste Khaled Kelkal, que Nicolas Boukhrief songea pour la première fois à faire un film sur le sujet : "Digne des pires clichés de terroristes barbus qui hantent le cinéma américain depuis le milieu des années quatre-vingt, sa mort en soi-disant « martyr » ne peut pas résumer à elle seule le parcours sanglant de cet enfant des cités. Qui est ce jeune homme ? Comment a-t-il pu en arriver là ? Quelle est sa part d’humanité ? Comment son intégration dans la société française a-t-elle pu échouer à ce point ?", se souvient-il. Même si le cinéaste né d’un père algérien et d’une mère française se sentait concerné et légitime pour traiter ce thème, il laissa tomber de peur de manquer d'expérience et de distance.

Contrairement aux Etats-Unis, le thème du terrorisme d'intérieur n'a été que rarement abordé dans le cinéma français. Nous comptons tout de même quelques exemples récents comme L'assaut de Julien Leclercq, Carlos d'Olivier Assayas, Secret Défense de Philippe Haïm ou La Désintégration de Philippe Faucon.

Made In France s'attaque donc à un sujet très sensible, le terrorisme lié à l'intégrisme islamiste. En effet, la France ayant subi cette année 2015 d'horribles attentats, faire un film sur cette thématique s'avérait on ne peut plus audacieux. Quand bien même Made In France a été tourné avant ces terribles événements, il n'en reste pas moins lié à une actualité toujours brûlante dans un climat général oppressant et tendu.

Le metteur en scène Nicolas Boukhrief reste, avec Made in France, dans la veine de ses polars/thrillers tendus à l'image du Convoyeur ou Gardiens de l'ordre qui eux aussi voyaient des individus, policiers ou autres, s'infiltrer dans des milieux dangereux.

Plusieurs comédiens de Made in France sont habitués à jouer dans des films policiers ou des séries policières. L'exemple le plus pertinent que nous pouvons citer reste Dimitri Storoge qui était dans Ni pour, ni contre (bien au contraire), Les Lyonnais, De guerre lasse et la série Les Beaux mecs.

Contrairement au Scarface de Brian De Palma représentant un gangster charismatique et qui du coup a eu une influence désastreuse chez les jeunes, Nicolas Boukhrief a cherché à éviter toute complaisance avec Made in France. Il explique : "Ce thriller (...) ne doit pas glorifier son personnage de « méchant » en lui donnant une stature charismatique. Le Scarface de De Palma est un excellent film, mais a eu à cet égard une influence désastreuse. C’est pourquoi Laurent/Hassan, le chef de la cellule se révèlera en définitive n’être qu’un paumé auquel le spectateur ne saurait s’identifier. Sa violence d’ailleurs ne frappera que ses « frères »."

Le héros du film est musulman : il s'agit pour le réalisateur d'une nécessité pour éviter tout risque d’islamophobie. Nicolas Boukhrief a bien évidemment également cherché à faire en sorte que le film ne véhicule pas le parallèle raciste confondant jeunes "terroristes" et jeunes "arabes".

Nicolas Boukhrief a voulu donner forme à un thriller sur le terrorisme islamiste en France vu de l’intérieur, mais "pas à l’échelle des États qui le financent, ou de ses chefs de guerre, mais plutôt tout au bas de sa hiérarchie, au niveau de ses combattants de base. Un peu comme si, en son temps, un film avait abordé les premières exactions des nazis, en s’intéressant exclusivement à une bande d’apprentis SS issus des jeunesses hitlériennes."

Le travail préalable d'enquête effectué par Nicolas Boukhrief l'a amené à un constat terrifiant qui a déterminé la manière dont il allait traiter le terrorisme dans Made in France : "L’enquête que j’entame alors me conforte dans mon idée : le danger va grandissant. Chaque jour des jeunes hommes et des jeunes femmes, parfois tout juste adolescents, basculent dans l’islamisme. Je ne parle bien sûr pas d’une armée en train de se lever en masse, pur fantasme frontiste, mais de simples individus qui se convertissent en soldats prêts à faire le djihad. Les exemples précités l’ont prouvé : il suffit d’un seul pour tuer nombre d’innocents, ébranler le monde et, hélas, faire naître des vocations."

La présence au casting du réalisateur/scénariste/acteur de la lucrative comédie Les Kaïra Franck Gastambide peut surprendre dans la mesure où il est davantage habitué aux comédies. Mais si l'on se penche sur sa filmographie, on se rend compte qu'il a été à l'affiche du policier De force et qu'il sera prochainement aux côtés de Lambert Wilson dans Enragés.

Au moment de son travail de documentation pour son film, Nicolas Boukhrief a été approché par une personne mystérieuse qui serait selon toute vraisemblance un agent de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure, anciennement les RG)...