Le Challat de Tunis traite d'un fait divers datant de 2003 et se trouve à mi-chemin entre la fiction et le "documenteur", sorte de faux documentaire qui met en avant des sujets de société comme ici le machisme en Tunisie.
Le "Challat" dans le film, cet homme qui lacère les fesses de jeunes femmes, représente un "symbole national fantasmagorique d’une virilité machiste tantôt lubrique tantôt justicière", selon la réalisatrice Kaouther Ben Hania.
Avec ce documentaire, Kaouther Ben Hania ne voulait pas seulement filmer le réel mais surtout l’interroger : "Cette interrogation passe par le choix d’un point de vue précis et subjectif sur cette réalité complexe. Un point de vue qui guidera la manière de filmer et de raconter cette réalité", précise-t-elle.
Kaouther Ben Hania a décidé de traiter le sujet dans le cadre de la fiction et non pas par un simple documentaire car cela lui laissait davantage de libertés : "Mon champ d’action par rapport au réel était restreint et je sentais que le film n’était pas encore abouti", indique-t-elle.
Selon la réalisatrice, le film a été rendu possible grâce à la révolution de 2011 qui a entrainé la destitution de Ben Ali. "La révolution nous a restitué une réalité longuement confisquée par le pouvoir, il est désormais envisageable de la capter, officiellement, avec autorisations de tournage", déclare-t-elle. Kaouther Ben Hania a pu avoir ainsi accès aux archives concernant l’affaire du Challat, chose impensable sous le régime de Ben Ali.
Le véritable Challat n’a jamais arrêté. C’est un repris de justice du nom de Jallel Dridi qui a été envoyé en prison à sa place. "Un coupable idéal", selon la réalisatrice Kaouther Ben Hania.
Pour la réalisatrice Kaouther Ben Hania, le choix du documenteur, documentaire fictif, a été motivé par une volonté de donner corps à une sorte de fantasme collectif concernant la rumeur de ce Challat et ouvrir le débat sur la condition de la femme.
La réalisatrice Kaouther Ben Hania et son chef opérateur Sofia El Fani jouent leur propre rôle dans le film : "Pour lier toutes ses histoires qui peuplent le film, j’avais besoin d’un fil conducteur, celui de l’investigation faite par nous deux", indique la cinéaste.
Le Challat de Tunis se trouve réellement à mi-chemin entre fiction et réalité. Certaines scènes sont complètement fictionnelles et inventées et d’autres documentaristes : "Cette diversité de matériaux m’a permis de construire un film hybride où le réel me sert de point d’appui pour mettre en scène des intentions très affirmées", précise la réalisatrice. Il y a d’ailleurs également deux types de personnages dans le film, les fictifs et les réelles victimes du Challat.
Véritable comédie noire, Le Challat aborde avec un certain sens de l’autodérision des sujets graves : "Très tôt, j'ai compris qu'avec cette affaire, nous étions au royaume de l'absurde. La forme du film m’a tout de suite suggéré un ton humoristique avec une teinte d’ironie". C’était également un moyen pour la réalisatrice de faire référence à la mentalité tunisienne : "Je voulais que mon film soit à l’image de cette Tunisie qui pratique sans cesse l’autodérision pour préserver sa bonne humeur."
Le Challat de Tunis a été sélectionné dans la section de l'Acid au Festival de Cannes 2014.