Comme Leviathan ne pouvait être QUE russe, Still the water ne peut être QUE japonais. Ca y est, vous me voyez revenir avec ma théorie débile du "génie propre des peuples"....
Naomi Kawase ne nous parle que de l'homme et de la nature, de l'homme dans la nature, de l'homme faisant partie de la nature. Dans La forêt de Mogari, c'était.... la forêt, le silence mystérieux des arbres. Ici, c'est l'océan, tour à tour paisible, nourricier, puis dangereux. Une île, loin de tout, loin de la civilisation, comme cette Ile nue de Kaneto Shindô. Les gens vivent de la pêche, sur une brève bande côtière. Derrière: les montagnes recouvertes d'une végétation dense, où sûrement personne ne va. Ils vivent entre eux, ils n'ont pas la télévision, ils se retrouvent pour faire de la musique sur des instruments traditionnels, chanter et danser. Ils croient au chamanisme, pratiquent des rites étranges.... Si ce n'étaient les tee-shirts et les uniformes de collégien des deux jeunes héros, on pourrait se croire dans quelque lointain moyen-âge.
C'est l'histoire de l'apprentissage de l'amour, de la sexualité par deux ados, deux voisins, à travers le regard qu'ils portent sur leurs parents. Kaito (Nijirô Murakami) est arrivé sur l'ile après le divorce difficile des siens.
Kyoko (Jun Yoshinaga) est née sur l'ile. Elle vit en symbiose avec elle. Elle se laisse flotter, dériver au fond de l'eau comme une petite sirène. Comme cette terre qui résiste aux typhons, elle est forte.
Voila, c'est tout. Il ne se passe rien, et pourtant, tant de choses silencieuses sont dites...
C'est la vie, la mort, la mort à travers le cruel abattage des petites chèvres qui sont les seuls animaux pouvant vivre sur l'ile; à travers l'accompagnement de l'humain qui s'en va dans une scène déchirante et pourtant, sans tristesse.
A la fin, Kaito et Kyoko ont grandi... c'est tout.
Kawase filme l'océan comme personne. Les vagues, ces monstrueuses vagues qui roulent les unes sur les autres ont une vie organique. Dans le banyan multi-séculaire qui vit devant la maison de Kyoko, on devine le sage et très ancien esprit de l'arbre... C'est un film taoïste. On découvre d'ailleurs, de façon fort inattendue, dans la bouche du père de Kyoko, le surf comme discipline bouddhique: affronter ces vagues terrifiantes puis, lorsqu'on les a domptées, s'emplir de leur incroyable énergie....
C'est pourquoi, ce film, ou bien vous rentrez complètement dans sa philosophie, ou bien vous "surfez", justement, sur son esthétisme.... Vous vous arrêtez sur cet esthétisme, vous le trouvez un peu trop joli pour être honnête.... et vous passez à côté (surtout qu'il y a pas mal de chichiteries dans les prises de vues). Le cinéma de Kawase, on n'y rentre pas par hasard. Ou on y adhère, ou on le rate. Vous êtes prévenus!