Ma critique d'Iranien de Mehran Tamadon :
Mehran Tamadon, iranien de naissance, athée, de père communiste, signe un troisième film brillant, profond, où la réflexion basée sur une confrontation d'idées entre défense de la laïcité et soutien à une théocratie islamique se mêle à une grande dose d'humour.
Depuis la révolution de 1979, qui a vu la chute du Shah d'Iran au profit de l'établissement d'une République islamique, les critiques, pas seulement occidentales, tombent sur ce pays que Georges W.Bush a classé dans son "Axe du mal". L'Iran aujourd'hui symbolisé pour beaucoup par le nucléaire et par la peur qu'il engendre, est un pays très méconnu, aux frontières relativement closes. Ces dirigeants et les partisans de cette théocratie sont peu entendus. C'est cette lacune que Mehran Tamadon a voulu combler. Après trois ans de recherche, où les refus d'hommes ayant peur de subir des représailles du pouvoir iranien se sont succédés, il trouve finalement quatre mollahs acceptant de participer à ce projet.
Résultat : un huit-clos passionant voyant s'affronter à coups de joutes verbales et autres coups de poing argumentatifs un athée, partisan d'un Iran laïc, face à quatre mollahs, partisans d'une République islamique d'Iran. Le film s'ouvre avec force. Une mosquée iranienne, il fait grand soleil, des musulmans prient, leurs prières sont traduites du persan : "Mort aux Etats-Unis, mort à Israël.". Le film peut commencer, portrait détourné d'un pays que l'opinion publique voit hostile par le prisme des partisans de son régime.
La recherche de "l'espace commun"
C'est le sujet du film. Comment dans une société aux divergences idéologiques, aux opinions parfois radicalement opposées, peut-on réussir à créer un espace commun où vivre ensemble ?
Vous l'aurez compris, pour l'athée c'est dans un pays laïc, pour les religieux, c'est au sein d'un état théocratique.
Les idées de défense de leurs opinions vont se succéder. Il faut voir le film pour profiter de cet échange, trop complexe pour être retranscrit. Nous retiendrons une pensée de Tamadon : "Je ne suis pas certain que la société idéale doive être religieuse. Elle doit être laïque. L'espace commun est neutre. Il n'est ni exclusivement à moi qu'on dit athée, ni à vous qui êtes religieux, ni à un autre groupe qui aurait une autre idéologie."
Une liberté d'expression limitée malgrè les apparences
Le film se présente comme un débat où tous les arguments sont permis, où la liberté est totale. Il n'en est rien. Tamadon est iranien, il connait son pays et sa politique, il sait qu'il ne peut pas tout dire. Pour preuve, malgrè un film relativement politiquement correct, pour nous du moins, nous apprenons à la toute fin que son passeport lui a été retiré et que sa restitution à été autorisée plus tard à la condition qu'il ne remette plus jamais les pieds sur le territoire. Il ne reviendra jamais en Iran.
Les sujets de conversation restent donc limités, on parlera de femmes, de voiles, de nudité, de musique certes, mais jamais de la religion elle-même. La reflexion sur l'islam en tant que telle est absente. Tant pis, ce n'est pas le sujet du film. Le débat sur la laïcité est indépendant du débat sur la religion.
Les mollahs, des personnages étonnants
Qui aurait pu croire qu'un "porte-parole" du bien-fait de la théocratie iranienne cite, subtilement, Dostoïevski ?
"Si Dieu n'existe pas, tout est permis." Cette pensée prononcée par Ivan Karamazov dans Les frères Karamazov est reprise par l'un des mollahs. Il s'interroge sur la morale de Tamadon. Selon lui, le musulman a une morale exemplaire car ses actes guident l'espoir de la tranquillité dans l'au-delà. Soyons sages vivants et nous obtiendrons notre billet pour le paradis.
Les mots différent, le sens est le même. Jusqu'ici rien d'extraordinaire, il ne fait que reprendre l'idée du romancier russe, mais il surprend lorsqu'il nous livre que s'il avait la confirmation que Dieu n'existait pas, que si la preuve que le paradis tant esperé était un mirage, il ferait, lui même, tout et n'importe quoi.
Pour lui, le fait que l'athée, en dépit de toute croyance, de tout espoir de sauvetage de son âme, persiste à bien se comporter, est un mystère.
Qu'en conclure ? Qu'il reconnaît les qualités de l'athée ? Que la morale du religieux n'est liée qu'à sa croyance ? L'interprétation dépendra du spectateur.
Notons l'humour très présent des mollahs. Un humour étonnement très semblable à celui que nous connaissons, cynique, subtil, presque british.
Un d'eux veut séduire la mère de Tamadon, l'autre préfére se concentrer sur sa brochette plutôt que sur le débat, le troisième n'hésite pas à vanner son hôte. Le quatrième reste tout de même assez silencieux. Les échangent finissent parfois par aborder, indirectement, le thème de la sexualité où les religieux se lachent quelque peu laisant découvrir une facette de leur personnalités non évidentes au premier abord.
La place de la femme révélatrice, limitée et archaïque
Leur femmes sont là mais on ne les voit pas, ou si peu. Mehran Tamadon propose à ses invités de les convier et de les laisser même prendre part au débat. Pas de réticences de la part des mollahs, ils se montrent même plutôt favorable à l'idée. Les femmes arrivent donc. Cependant on ne les verra que très peu, quant à leurs participations aux discussions, elles sont inexistantes.
La femme fait la cuisine, s'occupe des enfants. Lorsqu'elle s'aventure à regarder la vidéo des enfants de Tamadon, que ce dernier lui montre, son mari la laisse un peu puis lui rappelle qu'elle doit aller préparer le repas.
Des personnages féminins qu'on ne verra pas prendre part au travail de reflexion.
Qui remporte ce débat ?
Les deux. Mais dès le début, tous les protagonistes du film savent que le soutien à la République islamique sera l'idée qui l'emportera indirectement.
Le film se passe en Iran, il ne peut pas en être autrement. Les arguments que la France ou tout autre pays démocratique et laïc auraient pu ammenée sont ici proscrits.
Les mollahs se montrent bornés, attachés à leurs idées. Ils sont attentifs aux arguments du camp opposé mais ne les considérerons jamais comme valables. Un exemple : lorsqu'un mollah rappelle à Tamadon que le peuple a voté de manière démocratique en 1979 pour l'établissement de la République islamique, le réalisateur lui rappelle que ce vote a eu lieu il y a 34 ans et que les avis ont depuis évolué. La plupart de ceux qui ont voté oui ne savaient pas à quoi s'attendre, avec du recul et l'expérience du régime, leur votes ne seraient plus les mêmes aujourd'hui pour beaucoup. Le mollah se ferme, refuse l'argument et change rapidement de sujet. Son côté démocrate a des limites.
L'athée fait des efforts, il se purifie à la manière des musulmans puis participe à une des prières quotidiennes. Le mollah n'en fait aucun.
Au fil du film, ce dernier parvient à se dévoiler. Il révèle ses peurs, celles de la perte du contrôle de soi-même qui passe par la peur de la nudité, de la femme, de la musique et plus particulièrement des voix féminines.
Un des hommes admet même que si notre Ve constitution devenait leur IIe, ils seraient prêt à retirer le mot islamique accolé à celui de République.
Match nul pour ce débat.
Un film utile. Nous ne pouvons que féliciter Mehran Tamadon d'avoir eu l'audace, le courage et l'idée de réaliser un tel film d'une puissance et d'une profondeur rare.
Loin des clichés et des idées préconçues faites sur l'Iran, ce travail permet de mettre en lumière des personnages interessants et bien plus tolérants qu'il n'y paraît. Les quatre sont différents certes, nous allons du vieil homme, républicain adorant le débat au plus jeune, assez dur et très fixé sur ses positions.