Le film est présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2019.
J'ai perdu mon corps est adapté du roman Happy Hand de Guillaume Laurant, scénariste et collaborateur régulier de Jean-Pierre Jeunet pour lequel il a écrit notamment Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, Alien, la résurrection et Un long dimanche de fiançailles.
C'est le producteur Marc du Pontavice qui découvre et acquiert les droits du livre en 2011. Malgré la difficulté de monter un tel projet en France, il part à la recherche d'un réalisateur plutôt issu du court-métrage, plus libre dans son ton. Il découvre alors le cinéaste Jérémy Clapin.
J'ai perdu mon corps est le premier long-métrage de Jérémy Clapin. Ce dernier, diplômé de l’École des Arts Décoratifs de Paris, se fait repérer par ses courts, dont Skhizen qui a récolté plus de 90 prix en festivals et a été nommé aux César.
Il revient sur la genèse de son film : "Marc du Pontavice avait vu et apprécié mes courts-métrages. Il avait envie de produire un long-métrage d’animation destiné aux adolescents et aux adultes, et moi d’en réaliser un. Le dialogue s’est très bien passé et Marc m’a proposé d’adapter Happy Hand, le livre de Guillaume Laurant".
Jérémy Clapin a co-écrit le scénario avec Guillaume Laurant, l'auteur du roman dont est tiré le film. Il s'agissait d'une première pour Clapin qui a l'habitude, qui plus est, de créer le storyboard en parralèle de l'écriture. Après avoir voulu trop respecter l'histoire du roman au détriment de l'animation, il a fini par trouver ses marques avec la bénédiction de Marc du Pontavice et de Laurant : "L’enjeu, pour moi, c’était la gestion du point de vue de la main, qui était l’élément inédit le plus fort et le plus intéressant à mettre en scène. Tout le récit et les personnages devaient s’articuler autour de cela. Je suis reparti du pitch - une main part à la recherche de son corps - et j’ai tout repensé et réinventé".
Jérémy Clapin voulait éviter "d’esthétiser" le film car selon lui, la beauté des graphismes peut cacher la faiblesse du propos. Il cherchait avant tout à développer un univers vrai et qui ne soit pas lisse : "Je voulais des accidents, de la matière, quelque chose de rugueux et pictural. Ce film, ce n’est pas que du dessin, c’est aussi de la photo, de la lumière, de la profondeur de champ, des perspectives et des caméras étonnantes. Tout ce qui me permettait d’exalter l’aspect cinématographique du film était bon à prendre. J’ai donc opté pour des techniques mixtes, en utilisant les avantages de la 2D et de la 3D. Au final, c’est un univers à mi-chemin entre le dessin et le cinéma".
Jérémy Clapin a utilisé Grease Pencil (crayon gras) un outil d’animation 2D intégré au logiciel Blender, qui permet de dessiner directement sur des éléments en 3D : "Grâce à ce nouvel outil, nous avons gagné beaucoup de temps et de précision au moment du dessin de l’animation 2D. Sans cet outil, je pense que nous n’aurions pas pu parvenir à un tel résultat, ou en tous cas pas de cette manière directe et assez rapide".
Les acteurs ont été filmés lorsqu'ils enregistraient leur voix afin de servir de références visuelles pour les animateurs. L'enregistrement n'a duré que 5 jours, ce qui ne suffisait pas pour alimenter tout le film mais cela n'a pas posé de problème car les animateurs étaient capables d'être inventifs et créatifs. Jérémy Clapin explique : "je faisais un point avec l’animateur pour lui décrire mes intentions de jeu, souvent en me filmant moi-même, et le modèle 3D du personnage était animé en fonction de cela. Il n’était pas question de faire « bêtement » de la rotoscopie (procédé qui consiste à retracer au dessin une vidéo image par image, ndlr) si cela n’apportait rien à la dramaturgie" .
Dans le livre, la main (surnommée par l'équipe Rosalie) est la narratrice de sa propre histoire. Si une voix-off était inclue dans les premières versions du script, elle a petit à petit été effacée car elle nuisait au récit : la main ne pouvait pas être la narratrice tout en étant au coeur des péripéties. Le réalisateur revient sur ce choix : "J’ai tenté d’imaginer comment une main pouvait se rappeler de sa vie. Je me suis demandé quels étaient ses fragments de souvenirs. J’ai voulu que les cadrages soient toujours à la hauteur d’une main, que les visages soient souvent morcelés pour suggérer qu’elle ne voit pas le monde de la même manière".
Dans le livre, la rencontre entre Naoufel et Gabrielle arrive tardivement et ne se produit pas dans les mêmes circonstances (la scène de l'interphone n'existe pas). Jérémy Clapin a voulu que ce contact soit un déclencheur pour Naoufel et lui donne envie de reprendre sa vie en main après la perte de ses parents : "À 20 ans, il est un devenu un garçon coupé de tout. Après avoir rencontré Gabrielle, il se reconnecte à tout cela en entreprenant cette quête amoureuse. Il réécoute ses cassettes. Il retrouve le plaisir de ces sensations sonores, comme dans la scène où il ferme les yeux et où l’écran devient noir. Ces enregistrements n’existent pas non plus dans le livre, ni le fil rouge de la mouche, ni l’igloo, ni la grue, ni les livraisons de pizza, etc. J’ai eu besoin de créer tout cela pour renforcer le lien des personnages entre eux et leur place dans l’histoire".
J'ai perdu mon corps a été réalisé dans trois studios différents : la préproduction artistique, le storyboard et l’animatique ont été faits à Paris, chez Xilam. Le layout 3D a été effectué par le studio Xilam de Villeurbanne, près de Lyon, étape pendant laquelle "on découpe le film plan par plan, on choisit les angles et les mouvements de la caméra, et où l’on met les personnages en place dans les décors" explique Jérémy Clapin. Ces layouts préparatoires de plans ont ensuite été envoyés au studio Gao Shan situé sur l’île de la Réunion, où ils ont été animés en 3D. Le réalisateur poursuit : "Ensuite c’est à nouveau le studio Xilam de Lyon qui s’est occupé de réaliser tous les dessins des animations 2D. Et finalement c’est à Xilam Paris que s’est effectué le compositing qui a permis d’obtenir l’image définitive du film".
C'est Dan Levy, du groupe The Dø, qui a composé la musique du film. Ses expériences passées dans la bande originale l'avaient presque fait renoncer à composer pour un long-métrage mais il a été séduit par le projet. Il a commencé son travail en se basant sur deux séquences animées non achevées : "Ce qui m’a plu dans ce processus, c’est que je ne disposais pas du film abouti, mais seulement d’une animatique qui me permettait d’anticiper 40% de ce que serait son rendu final. Du coup, j’ai dû compenser en créant la musique. Compenser en émotions, en imaginant ces personnages avec leurs visages définitifs. Ces zones d’ombres ont nourri aussi mon inspiration".
Il a préféré privilégier l'ambiance et l'émotion plutôt que de coller à tout prix à l'image (technique appelée le "mickeymousing"). Il a travaillé au total durant 9 mois afin de livrer la bande-originale.