Visions crépusculaires baignant les paysages d’Ibiza sur lequel s’illumine des yeux mi brillants, mi mélancoliques, « the look », celui de Marthe Keller. D’office on tombe sous le charme, son charme. Actrice trop aimée des français dans son rôle télévisuel de « La demoiselle d’Avignon », à qui par la suite on a rarement fait confiance au cinéma pour de grands et beaux rôles. Elle a « couru, couru avec la banlieue », presque « toute une vie », « femme de personne » elle a posé ses « yeux noirs » sur des troisièmes ou quatrièmes rôles depuis. « Amnesia » est le film qui révèle à tous l’immense étendue de son talent. Marthe Keller est une très grande actrice !
Et le film existe grâce à elle ! Car ce pensum (sur la seconde partie) un peu convenu sur la culpabilité du peuple allemand serait bien anodin sans sa conviction et sa condition d’actrice, de femme. De même cette histoire d’amour platonique entre Matha et Jo semblerait ridicule sans son charme, son sourire et cette pointe d’accent grave à faire fondre bien des cœurs.
Barbet Schroeder, nous avait habitué jadis à des films plus punchy… de « Tricheurs » au « Mystère von Bullow » cet amateur de Bukovski nous avait livré son meilleur film dans les années 80, un « Barfly » déroutant et déjanté où Faye Dunaway et Mickey Rourke (dans le rôle imaginaire de l’écrivain subversif) trouvaient leurs meilleurs rôles.
L’âge aidant, il se replonge dans un passé lointain mais toujours en souffrance, où il faut exorciser la mal, l’éradiquer et retrouver une sérénité au soleil couchant d’une vie, telle Martha dans le film, assisse sur son banc, presque délivrée, radieuse.
Si l’on s’attend à retrouver le piquant et la verve de « L’avocat de la terreur », nous en sommes pour nos frais. Ce qui n’empêche nullement, par son côté presque apaisant, que « Amnesia » est un film plaisant. La lumière de Tovoli est splendide, l’idée de poser l’histoire au début des années 90 intéressante (chute du mur de Berlin et basculement du monde), les acteurs habités, Keller bien sur, mais aussi le jeune Max Riemelt, ou encore Corinna Kirchhoff et Bruno Ganz.
Tout participe au contraste entre passé et avenir (musique, souvenirs, générations…), conflictuel d’abord, puis peu à peu rasséréné, prompt à une réconciliation. Barbet Schroeder ne signe pas Le grand film sur le sujet, il apporte juste beaucoup de lui, entre son vécu et son ressenti dans une œuvre intimiste pleine de charmes où passé et présent sont allés ensemble aussi loin qu’ils le pouvaient…