Saluer la qualité intrinsèque d’un reboot de nos jours est devenu rare dû au nombre et à la standardisation de ces derniers, réduits à l’état de simples divertissements liftés en effets spéciaux appréciés du plus grand nombre. Pourtant, certains arrivent à se démarquer et à toucher à la fois le cœur des critiques et du public. C’est le cas de La Planète des Singes. Trilogie démarrée en fanfare avec Les origines, volet caractérisé par des personnages forts et un attachement émotionnel puissant vis-à-vis de César, L’Affrontement en 2014, réalisé par Matt Reeves, a su approfondir les traits de caractère (et le dilemme moral) du leader simien à travers un scénario intelligent et une mise en scène dantesque. Le retour du réalisateur à la barre de ce troisième volet, sobrement intitulé Suprématie (inutile d’affirmer qu’on préfère le titre original, War of the Planet of the Apes) avait de quoi susciter de grandes attentes. Et ces dernières seront largement comblées. Car La Planète des Singes : Suprématie, en plus d’être un blockbuster d’une rare profondeur, est également la plus belle des conclusions que l’on pouvait imaginer à la franchise.
Ape-pocalypse Now!
A s’y attendre, ce volet est tout d’abord marqué par une très bonne écriture. Et s’il y a bien une chose que l’on ne peut reprocher à Mark Bomback et Matt Reeves, qui a également participé à l’écriture du film, c’est bien leur talent de conteur, déroulant une intrigue qui s’éloigne des pièges de la prévisibilité. A l’instar du deuxième volet, où finalement l’élément déclencheur n’était pas entraîné par les humains comme on aurait pu le croire, mais par la haine d’un primate, le scénario de Suprématie entraîne le spectateur là où il n’y s’attend pas. Par exemple, pour des scènes clés définissant les objectifs des personnages principaux, une carence émotionnelle peut être perceptible, due au fait que ces scènes sont rapidement mises sous silence, la continuité du récit étant privilégiée. Au contraire, au lieu de s’attarder sur des scènes attendues à l’aide d’effets pathos où la mièvrerie l’emporterait sur l’originalité, les scénaristes nous apporteront par la suite des scènes très fortes émotionnellement parlant, qui sont pour ainsi dire la marque de fabrique de cette saga prequel. Les exemples sont nombreux, que ce soit la prise de conscience de César de son rôle de chef ainsi que de sa légitimité démontrée par les siens, l’empathie et l’attachement de Nova (formidable Amiah Miller !) aux singes, ou tout simplement la scène finale, toutes alimentées par la partition, subtile de discrétion, de Michael Giacchino.
De même, on pourrait s’interroger sur le rôle a priori ultra manichéen de Woody Harrelson, antagoniste principal de cet opus. Interprétant un colonel obnubilé par la sauvegarde de son espèce à n’importe quel prix, à la tête d’une armée aux soldats à l’attitude basique, voire régressive, ne dégageant plus une once d’humanité, il semble ne constituer qu’un adversaire propre à n’importe quel autre blockbuster. Or, par le biais d’une scène de confrontation verbale entre César et ledit colonel, très certainement une des scènes les plus réussies du film, le personnage nous apparaît plus riche qu’il n’y paraît, nous amenant à le comprendre. Non pas à justifier ses actes, encore moins à s’identifier à lui. Juste à le comprendre. Ce qui, dans un souci de réalisme, est clairement à saluer. Et libre à Reeves d’illustrer cet adage hitchcockien : « Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film ».
Et nous ne disons pas cela face aux multiples références que dégage ce personnage. Car parallèlement à la critique ouvertement antimilitariste, l’ombre d’Apocalypse Now plane sur tout le deuxième acte de la Planète des Singes : Suprématie. Par les similitudes tant physiques et psychologiques d’Harrelson avec Brando (bien que nous sommes loin du jusqu’au-boutisme de Coppola), mais aussi par la création d’une société à part, contraignant ceux qu’elle juge comme d’une race inférieure à l’esclavage. Une société renfermée sur elle-même, sur ce qu’elle a de plus déshumanisé, alors qu’elle lutte paradoxalement pour la sauvegarde de l’humanité. Le film ne s’arrêtera cependant pas là: en centralisant son contexte dans les codes de films de genre, le long métrage évoquera à la fois Le Pont de la Rivière Kwaï, La Grande Evasion ou encore les Douze Salopards. Si certains pourront parler d’un canevas narratif très classique, voire d’effets de déjà-vu, il s’agirait plutôt d’une réappropriation des références de certains chefs d’œuvre du 7e art, adaptées au contexte de la science-fiction.
Ensemble, singes forts !
Audacieux, La Planète des Singes : Suprématie l’est également dans le traitement de sa narration. Poursuivant le schéma instauré par L’Affrontement qui refuse ainsi tout aspect grand public, le film peut alterner longues plages de silence et scènes sous-titrées illustrant le quotidien et les conversations simiesques. Loin de tout bruit, fureur et esbroufe visuelle et sonore plutôt propices à ce genre de divertissement, le style volontairement épuré de la mise en scène n’entraîne cependant pas de longueurs ou de coupures rythmiques. Au contraire, elle s’autorise quelques embardées bienvenues qui n’étaient pas présentes dans les précédents volets. En tête du rayon nouveautés, nous retrouverons Méchant Singe (Steve Zahn), sidekick comique éminemment sympathique, discret, s’imposant quand il le faut et très loin d’être une attraction à blagues pour bambins ou adolescents en manque de rires gras. Les scènes d’action ne sont également pas en reste. Les deux plus marquantes sont une confrontation entre singes et soldats en début de long métrage, épopée guerrière brutale et aux plans larges inscrits dans la durée, ainsi que le combat final, caractérisé par un souffle poétique, voire lyrique. Et gage aux magiciens des studios Weta Digital de déployer une véritable maestria technique remplie d’effets spéciaux qui décollent réellement la rétine.
Car il était pour ainsi dire impossible d’évoquer La Planète des Singes Suprématie sans ses prodigieux effets visuels. Déjà époustouflants dans les deux précédents volets, la motion capture semble ici dépasser ses limites et livre un résultat proche de la perfection. Ayant désormais la possibilité de filmer plusieurs centaines de singes numériques sur un même plan grâce à ce procédé, parfois même au gré des éléments naturels (tempêtes de neige, pluie, feu…), c’est davantage lors de plans rapprochés et serrés que le résultat impressionne. Jamais les singes ne nous ont semblés aussi réels, aussi humains. Chaque détail, de leur pelage à l’iris de leurs yeux, en passant par leurs mouvements et expressions faciales, font que l’illusion fonctionne à plein régime. Et participe notamment à une caractérisation plus poussée de César. De quasi tous les plans, la dimension que lui offre Andy Serkis, au-delà de l’évolution conséquente au fil des opus, n’en fait pas qu’un simple héros. Mais une véritable icône.
Épique et émouvant, s’autorisant quelques pauses récréatives et un sous texte diablement habile sur les travers de la société et la condition humaine, La Planète des Singes : Suprématie est ainsi bien plus qu’un blockbuster. Il représente la conclusion en forme de chant de cygne d’une trilogie intelligente et bien pensée, renvoyant à tout un mythe de la science-fiction des années 70.
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