Est-ce le propre des pays les plus développés que de savoir plonger dans leur crasse & leur misère ? Ou peut-être un besoin ? Le cinéma scandinave, en tout cas, sait y faire, & Susanne Bier se place dans une lignée qui a donné de tout. Souvent de l’insupportable.
A Second Chance naît d’un parallèle, d’un couple aisé dont l’homme, policier, investigue sur un couple de junkies. Leur point commun mais plus pour longtemps : ils ont un bébé. Car il s’agit bien d’un film de bébés, même si Bier arrive à amener le sujet (souvent bruyant, forcément) avec une ”superficialité intelligente” qui rappelle aux ellipses du montage en début d’histoire : on veut montrer, mais pas s’éterniser.
On peut choisir de garder le mot ”superficiel”, ou bien le mot ”intelligent” : je suis de ces derniers à qui le choix de forme a permis de rester accroché à un scénario assez socialement hardcore qui, d’autre part, insiste trop sur le parallèle : la maison, les mots échangés, tout est mis en opposition d’une famille à l’autre & l’effet est superflu.
Et puis le drame survient & la figure du parent, chargé de transmettre de grandes valeurs à son enfant, se corrompt dans la douleur, devenant un être aveugle & immoral. L’immoralité est toute l’échappatoire choisie par Bier pour nous sortir de la spirale infernale – & à peine contrôlée comme son influence traîne longtemps – de personnages & d’actions malsains. Vices & injustesse, décidément, on est bien servis.
La question que la réalisatrice soulève est philosophique & devient inopinément un carburant incroyable au reste du visionnage : est-il juste de commettre un acte immoral dans le but de rétablir une situation morale ? On croit connaître la réponse depuis longtemps (ce que la fin nous confirmera), mais le repère de l’œuvre est familial, intime, humain, brouillant toutes les pistes.
Parfois le film se consacre à choquer là où il aurait pu devenir avantageusement déchirant, mais c’est un moindre mal quand, enfermé dans ce repère, le spectateur est confronté à ce dilemme moral abominable qui fait de A Second Chance une véritable référence du genre dramatique, percluse d’ambiguïtés éthiques & judiciaires gigantesques & édifiantes qui ont de quoi alimenter des débats sans fin qui ne soient pas du tout liés à la mise en scène.
Pour m’avoir fait oublier que les humains étaient capables d’émotions positives, Bier a ma perplexité. Pour m’avoir fait croire le temps de son film qu’une erreur, presque un crime, était un acte compassionnel & juste, elle a mon étonnement. Mais pour sa facilité apparente à créer une histoire qui hérite de la puissance scénaristique d’un bon thriller tout en faisant disparaître notre empathie de spectateur prompte à nous faire dire aux personnages : ”ne te décourage pas, tu auras une seconde chance”, pour avoir fait s’évanouir l’impression qu’une telle chance peut jamais exister & pour avoir mis un trouble astucieux de longue haleine parmi les fondements des actes humains, pour tout cela, elle a mon admiration.
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